(New York) La loi a été promulguée en 1871 pour mettre fin à la campagne de terreur du Ku Klux Klan dirigée principalement contre les élus noirs des États du Sud après la guerre de Sécession. En Caroline du Sud, certaines de ses dispositions ont atteint leur objectif pendant un certain temps. D’autres n’ont jamais été utilisées dans des causes importantes. Jusqu’à mardi.

Dans une poursuite civile déposée devant un tribunal fédéral de Washington au nom d’un représentant démocrate, la NAACP, vénérable organisation de défense des droits civiques, a invoqué la loi de 1871 pour réclamer des dommages et intérêts à Donald Trump et à Rudolph Giuliani, entre autres, en lien avec leur rôle présumé dans l’assaut du Capitole des États-Unis.

« C’est une loi faite sur mesure pour l’ère Trump, surtout à la suite d’une insurrection où le drapeau confédéré a été brandi au sein même du Capitole. Cela dépasse l’imagination », a déclaré à La Presse Thomas Geoghegan, avocat de Chicago.

Le juriste avait prédit dès la mi-janvier une avalanche de poursuites civiles contre le 45e président et son avocat personnel fondées sur l’article 1985 (1) du Ku Klux Klan Act.

Cet article autorise les dommages-intérêts contre toute personne qui conspire pour « empêcher par la force, l’intimidation ou la menace toute personne d’accepter une fonction […] ou de s’acquitter de ses fonctions ».

La NAACP accuse Donald Trump et Rudolph Giuliani d’avoir conspiré avec le groupe d’extrême droite Proud Boys et l’organisation paramilitaire Oath Keepers pour bloquer la certification du résultat de l’élection présidentielle par le Congrès le 6 janvier dernier.

« J’ai craint pour ma vie »

L’action en justice a été engagée au nom du représentant démocrate du Mississippi, Bennie Thompson. Âgé de 72 ans, l’élu afro-américain affirme que sa santé a été mise à risque lorsqu’il a dû porter un masque à gaz au début de l’assaut avant de se cacher avec des personnes qui ont plus tard été déclarées positives à la COVID-19. Il évoque également dans la poursuite sa peur en entendant les menaces des émeutiers et le coup de feu qui a tué l’une des insurgées.

« J’ai craint pour ma vie », a-t-il confié au New York Times. « Il n’y a pas un jour sans que je pense à cet évènement. Je me suis engagé à ce que justice soit faite dans cette situation. »

PHOTO CHIP SOMODEVILLA, ARCHIVES REUTERS

Bennie Thompson, représentant démocrate du Mississippi

Je fais confiance au meilleur jugement des tribunaux, car de toute évidence, les membres républicains du Sénat n’ont pas pu faire ce que les preuves ont massivement démontré.

Bennie Thompson, représentant démocrate du Mississippi

Un de ces républicains, faut-il préciser, avait lui aussi prédit le dépôt de poursuites civiles contre Donald Trump.

« Il ne s’en est pas encore tiré », avait déclaré Mitch McConnell, chef de la minorité au Sénat, après avoir voté pour acquitter l’ancien président à l’issue de son deuxième procès en destitution. « Nous avons une justice pénale dans ce pays. Nous avons une justice civile. »

Deux autres représentants démocrates – Hank Johnson (Géorgie) et Bonnie Watson Coleman (New Jersey) – ont annoncé qu’ils se joindront bientôt à la poursuite civile de la NAACP. Poursuite qui ne fait pas encore mention de la somme d’argent réclamée par le plaignant.

« Les faits sont irréfutables »

En attendant, un porte-parole de Donald Trump a réagi à cette action en justice en rappelant le verdict d’acquittement rendu par le Sénat samedi dernier.

« Le président Trump a été acquitté lors de la dernière chasse aux sorcières des démocrates, et les faits sont irréfutables », a indiqué Jason Miller dans un communiqué. « Le président Trump n’a pas planifié, produit ou organisé le rassemblement du 6 janvier à l’Ellipse. Le président n’a pas incité [à la violence] ou conspiré pour faire régner la violence au Capitole. »

La NAACP fait évidemment valoir le contraire dans sa poursuite. Tout comme les procureurs démocrates au deuxième procès en destitution de Donald Trump, l’organisation plus que centenaire revient sur la longue campagne de l’ancien président et de Rudolph Giuliani pour renverser les résultats de l’élection présidentielle du 3 novembre.

Et elle cite les paroles de Donald Trump à ses partisans avant et pendant l’assaut du Capitole, tout comme celles de l’ancien maire de New York, qui a joint des élus républicains pour leur demander de « ralentir » la certification des résultats.

Mais les avocats de Donald Trump ne pourront pas se contenter de répéter les arguments qu’ils ont utilisés lors du procès en destitution, selon Thomas Geoghegan.

« Tout ce que la loi de 1871 exige, c’est que la conspiration comporte une tentative de menace ou d’intimidation, ce qui est loin de la participation à une émeute ou de l’incitation à l’insurrection. La responsabilité est plus large que la théorie avancée par les procureurs démocrates au procès en destitution et le fardeau de la preuve est moindre », a expliqué le juriste de Chicago.

Quoi qu’il en soit, cela dépasserait en effet l’imagination si une loi créée pour combattre le KKK au XIXsiècle contribuait à faire condamner Donald Trump au XXIsiècle.