Dieu aurait annoncé la réélection de Donald Trump à plusieurs figures chrétiennes influentes aux États-Unis au cours des derniers mois. La prophétie ne s’est pas réalisée. Mais pour des millions d’Américains, partisans d’un courant nationaliste chrétien, la défaite de leur candidat représente une menace à leurs valeurs. Et ils n’ont pas dit leur dernier mot.

Même si des sondages montrent un certain déclin ces dernières années de l’importance de la religion chez les Américains, les groupes religieux restent influents. Particulièrement ceux de la droite chrétienne, bien organisés et arrivant à mobiliser un grand nombre d’électeurs.

« Je pense qu’ils sont là pour un bon moment, estime Andrew Whitehead, professeur adjoint à l’Université d’Indiana, spécialisé en religion et culture américaine. Ils vont maintenir leurs croyances que c’est une nation chrétienne et qu’ils doivent la reprendre. Qu’elle doit être, dans leurs mots, “remise sur les rails”, avec la volonté de Dieu. Donc, pour les élections futures, ils seront encore une force en politique américaine. »

Une frange particulière

Au cours de la présidence de Donald Trump, une frange particulière des évangéliques, les charismatiques, a occupé une place de premier plan, notamment avec la conseillère spirituelle à la Maison-Blanche Paula White.

Son discours enflammé pour la victoire du candidat républicain est devenu viral en novembre et a suscité bien des moqueries.

« La caractéristique de ces groupes-là, c’est leur insistance sur ce qu’on appelle les “charismes” de l’esprit, les dons de l’esprit. Il y a toute une dimension du surnaturel, de la prophétie, des guérisons, des miracles, vraiment particulière à ces groupes », explique André Gagné, professeur titulaire au département d’études théologiques de l’Université Concordia.

C’est dans cette mouvance qu’on retrouve les leaders qui ont indiqué avoir reçu directement de Dieu un message sur la réélection de Donald Trump. Sans nier leurs prophéties, ils reviennent aujourd’hui sur leur interprétation du message. « Ils disent, par exemple : “Ça peut vouloir dire autre chose, vous n’avez peut-être pas tout vu” », ajoute l’auteur du livre Ces évangéliques derrière Trump.

Derrière Trump

La droite chrétienne blanche a fortement appuyé le président, vu comme un défenseur de leur liberté religieuse : au cours de son mandat, il a nommé des juges conservateurs, notamment trois à la Cour suprême, et s’est posé en grand défenseur d’Israël.

Des adeptes du mouvement estiment que les valeurs chrétiennes sont en péril avec la défaite du candidat républicain et que cette religion fait partie intégrante de l’identité fondamentale américaine.

« Pour les Américains chrétiens nationalistes blancs, le mot chrétien a une signification spécifique ; c’est plus une collection de croyances culturelles et d’attitudes autour de la façon d’être politiquement et religieusement conservateurs », précise M. Whitehead, soulignant qu’il ne s’agit pas d’un mouvement exclusivement basé sur la foi.

PHOTO OLIVIER DOULIERY, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Une militante pro-choix discute avec une militante pro-vie devant la Cour suprême des États-Unis, quelque temps avant la confirmation de la juge conservatrice Amy Coney Barrett.

Le combat contre l’avortement

Le pays a été fondé avec la culture protestante dominante en tête, malgré la séparation de l’Église et de l’État, rappelle la professeure adjointe en histoire à l’Université de Caroline du Nord à Chapel Hill Molly Worthen. Le combat contre le droit à l’avortement, devenu aujourd’hui un cheval de bataille de la droite chrétienne aux États-Unis, n’a pas toujours été la cause principale du groupe.

« À la fin des années 70, un petit groupe de militants conservateurs chrétiens en a fait le symbole de l’érosion des valeurs traditionnelles familiales et du rôle traditionnel des sexes, de la laïcisation de la société, de l’interférence du gouvernement dans les bonnes familles chrétiennes, explique l’auteure d’Apostles of Reason. Mais ça se mêle à d’autres problématiques. »

Parmi elles, elle cite la montée d’une immigration plus diversifiée et la déségrégation des écoles publiques, qui a mené à une multiplication des établissements scolaires chrétiens privés pour la contourner.

Écho des théories du complot

Encouragés par Donald Trump, des chrétiens nationalistes extrémistes ont participé à l’attaque au Capitole le 6 janvier dernier, aux côtés d’autres partisans du candidat républicain défait.

PHOTO JOHN MINCHILLO, ARCHVIES ASSOCIATED PRESS

Des symboles religieux étaient visibles dans la foule qui a attaqué le Capitole le 6 janvier dernier.

La seule cause de l’insurrection n’est pas le nationalisme chrétien blanc, mais je pense que c’est un facteur clé pour soutenir ce qui est arrivé. Ceux qui y étaient avaient le sentiment que ce pays est le leur, qu’il leur est enlevé et que c’est la volonté de Dieu que le pays soit le leur.

Andrew Whitehead, professeur adjoint à l’Université d’Indiana, spécialisé en religion et culture américaine

Pour les spécialistes, il n’est pas non plus surprenant que les théories du complot trouvent écho chez des adeptes de la droite religieuse.

Leah Payne, professeure adjointe en histoire religieuse américaine à l’Université George Fox, en Oregon, note un parallèle historique entre le symbolisme religieux et celui de groupes conspirationnistes. « Historiquement, plusieurs groupes chrétiens ont de la littérature apocalyptique, avec une façon de voir le monde où les choses ne sont pas ce qu’elles semblent, dit-elle. Ça ne conduit pas nécessairement à QAnon ou à d’autres groupes conspirationnistes. » Mais on peut voir un langage commun entre les différents groupes sur une vision apocalyptique et mystérieuse du monde, ajoute-t-elle. « La littérature apocalyptique utilise souvent des contrastes ou des dualités comme la lumière et la pénombre ou le bien et le mal, ce qu’on voit aussi avec QAnon », souligne-t-elle.

Présidence d’unité

Joe Biden a lancé un message d’unité lors de son accession à la présidence. Le deuxième président catholique de l’histoire des États-Unis a du pain sur la planche.

Pour Mme Worthen, la ferveur religieuse du démocrate pourrait séduire les jeunes évangélistes. « Je pense qu’il y a des choses que le Parti démocrate pourrait faire pour accueillir les évangéliques modérés désaffectés, qui sont pro-vie, qui ont des réserves sur les démocrates, mais qui ont plus en commun avec le type de démocrate qu’est Joe Biden qu’ils le pensent », dit-elle.