(DOYLESTOWN) Le bruit des sonneries de téléphone retentit sans arrêt dans toutes les pièces du quartier général du Parti républicain du comté de Bucks, dans la banlieue nord de Philadelphie.

Patricia Poprik, qui règne en ces lieux, devrait s’en réjouir. À la veille de l’élection présidentielle, cette activité fébrile semble témoigner de la forte mobilisation des électeurs républicains dont Donald Trump aura besoin pour remporter la Pennsylvanie, l’État qui pourrait déterminer le vainqueur. Mais la présidente du Parti républicain d’un comté fondé par William Penn lui-même craint que les meilleures énergies de ses troupes soient détournées vers une affaire de démocrates, à savoir le vote par correspondance.

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« C’est un cauchemar ! », s’exclame-t-elle en s’extirpant un instant de son bureau. « Je viens de parler à une femme qui doit se rendre en voiture à l’Université Penn State pour remettre à son fils un bulletin de vote par correspondance. Il n’a jamais reçu le sien. Nous avons des tas de cas comme celui-ci. C’est consternant. »

PHOTO RICHARD HÉTU, LA PRESSE

Patricia Poprik, présidente du Parti républicain du comté de Bucks, en Pennsylvanie

Patricia Poprik considère que l’attention de son équipe devrait être monopolisée par la journée de mardi, celle du vote en personne. Elle ne remet pas en question la validité de tous les bulletins de vote par correspondance, comme le fait Donald Trump, mais c’est tout juste.

« Je pense qu’on devrait voter le jour du scrutin, point à la ligne », dit-elle derrière un masque appelant à appuyer le président. « Si vous postez votre bulletin de vote aujourd’hui et qu’il est reçu mercredi, il ne devrait pas compter. Je pense que le jour du vote devrait être le jour du vote. »

La Floride de 2020 ?

Ce point de vue n’est pas désintéressé. Lundi matin, la Pennsylvanie a annoncé avoir reçu plus de 2,4 millions de bulletins de vote par correspondance, soit 10 fois plus que le total de 2016. Or, de ce nombre, 1,55 million de bulletins, ou 66 %, ont été postés par des électeurs démocrates.

Selon les règles en vigueur, le Keystone State pourra accepter les bulletins de vote par correspondance jusqu’au 6 novembre, à condition qu’ils aient été postés avant mardi. Mais il y a un hic : aucun des bulletins de vote par courrier ne pourra être traité et dépouillé avant le jour du scrutin, voire avant le lendemain dans plusieurs comtés de Pennsylvanie, un processus qui pourrait s’étendre sur plusieurs jours.

Résultat : il est possible que Donald Trump prenne l’avance dans le décompte des voix en Pennsylvanie lors de la soirée électorale et qu’il n’hésite pas à contester, en partie ou en totalité, la légalité des bulletins de vote par correspondance.

De là à dire que la Pennsylvanie sera à l’élection de 2020 ce que la Floride a été pour celle de 2000, il n’y a qu’un pas, que certains sont déjà prêts à franchir. Mais Christopher Borick se montre prudent à ce sujet. « Il faut se rappeler que l’élection en Floride avait été incroyablement serrée », dit le politologue et directeur de l’Institut de sondages du Collège Muhlenberg, à Allentown. « En Pennsylvanie, les sondages donnent une avance modeste à Joe Biden. Ils me font donc croire que l’élection de 2020 ne sera pas en tous points une répétition de 2000. »

Des militaires à Philadelphie

Mais le professeur Borick n’écarte pas la possibilité d’une longue guérilla judiciaire semblable à celle de la Floride en 2000. « Je pense que le camp Trump et le Parti républicain seront très agressifs dans leurs efforts pour essayer de trouver tous les moyens de disqualifier des votes ou de ne pas compter des votes, dit-il. Ils seront de retour devant les tribunaux cette semaine et nous verrons comment ceux-ci réagiront. Jusqu’à présent, les tribunaux de l’État ont refusé d’invalider les règles en vigueur. Mais tout ça dépendra des résultats, s’ils sont serrés ou non. »

Autre inconnue : la réponse de militants extrémistes à un appel lancé par Donald Trump lors du premier débat présidentiel. « Je demande à mes partisans de surveiller ce qui se passe dans les bureaux de vote », a-t-il dit avant d’ajouter qu’il se passait « des choses très mauvaises à Philadelphie ».

PHOTO MATT SLOCUM, ASSOCIATED PRESS

Lundi, des membres de la Garde nationale étaient déployés autour de certains édifices municipaux de Philadelphie, dont l’hôtel de ville.

À la veille du scrutin présidentiel, des membres de la Garde nationale étaient déployés autour de certains édifices municipaux de Philadelphie, dont l’hôtel de ville. « Je suis content qu’ils soient là », a déclaré Ken Hughes, enseignant à la retraite, en prenant des photos des militaires, lundi matin. « Je n’ai rien contre les manifestations, mais je ne voudrais pas que la ville ait à revivre le chaos des derniers jours. »

Il faisait référence aux pillages qui ont accompagné les manifestations contre la mort de Walter Wallace Junior, un homme noir de 27 ans abattu lundi dernier en pleine rue par des policiers. Une semaine plus tard, les vitrines de plusieurs commerces de Philadelphie étaient encore placardées.

« La majorité silencieuse »

À Doylestown, siège du comté de Bucks, rien de cette tension n’était palpable lundi. Située à 40 kilomètres au nord du centre-ville de Philadelphie, cette municipalité présentait une image idyllique avec ses arbres aux couleurs automnales et ses domaines remontant à l’époque coloniale.

Tout au long de la journée, des électeurs ont fait la queue devant un des édifices publics du comté pour déposer dans une boîte de scrutin spéciale leur bulletin de vote par correspondance. La plupart d’entre eux ont voté pour Joe Biden.

Ron De Mita, un restaurateur de 60 ans, faisait partie des rares exceptions. « Je voulais éviter d’avoir à faire la queue [mardi], a-t-il dit. Mais je vous garantis que la majorité silencieuse sortira le jour du scrutin. »

C’est également la prédiction de Patricia Poprick, présidente du Parti républicain du comté de Bucks. En 2016, les quatre comtés de la banlieue nord de Philadelphie ont préféré Hillary Clinton à Donald Trump, par des marges allant de 0,8 à 25,5 points de pourcentage.

Quatre ans plus tard, le comté de Bucks, où la candidate démocrate l’avait emporté à l’arraché, pourrait renverser la tendance et contribuer à une autre victoire surprise du candidat républicain en Pennsylvanie.

« Le vote Trump sera plus fort cette fois-ci, a dit Patricia Poprick. Nous avons beaucoup plus de supporteurs, beaucoup plus de bénévoles, beaucoup plus de tout. Le président a tenu ses promesses et les gens aiment ça. »