Beaucoup moins chaotique et visiblement mieux encadré, le deuxième débat entre Donald Trump et Joe Biden s’est néanmoins déroulé sous haute tension, jeudi soir. Il s’agissait en effet de la dernière grande occasion pour le président sortant de rattraper son retard, à moins de deux semaines du scrutin. Que peut-on retenir de cet affrontement ? Entretien avec Charles-Philippe David, fondateur de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques et président de l’Observatoire sur les États-Unis de l’UQAM.

Qui a remporté le débat selon vous, et pourquoi ?

Trump l’a emporté par rapport au Trump du premier débat, ça c’est clair et net. Il était beaucoup plus calme, on dirait qu’il se faisait violence en se retenant d’interrompre Joe Biden. Mais dire qu’il a battu Biden ? Je ne crois pas. Les deux ont avancé de nombreux arguments. Toutefois, les déclarations de Trump, surtout celles sur la famille Biden, vont demander d’importantes vérifications. Elles ressemblaient souvent à des fabulations. […] Trump a redéfini les règles du jeu. Il a banalisé le mensonge politique. C’est un problème auquel on fait face pour la santé de la démocratie. Il faudra départager la fiction et la réalité.

Est-ce que certains éléments vous ont surpris ? Lesquels ?

J’ai été surpris qu’ils ne parlent pas de la Cour suprême, mais il est vrai que le sujet avait déjà été abordé dans le débat vice-présidentiel. Je suis aussi surpris du fait que Trump n’a pas attaqué Biden sur la possibilité qu’il augmente la taille de la Cour suprême pour diluer l’influence des juges déjà nommés, notamment par Trump. Troisième surprise : que Biden n’ait pas attaqué Trump sur sa nomination de la juge Amy Coney Barrett.

Comment noteriez-vous la performance de chaque candidat ?

Il n’y a pas eu de K.-O. Et Trump n’a pas élargi son bassin électoral. Je crois qu’il a limité les dégâts. Je donnerais à Donald Trump la note de passage, parce qu’il nous a surpris avec un ton bien plus sobre, bien plus calme. Je vais lui donner 60 % pour la forme, mais je ne suis pas sûr qu’il ait passé l’examen des faits. À l’inverse, Joe Biden mérite une très bonne note pour les faits, disons 75 %. Pour la forme, je ne lui donnerais pas beaucoup plus de 60 %. Ce n’était pas un Biden très énergique. La longueur des échanges l’a fatigué, probablement parce qu’il a dû parler beaucoup plus que pendant le premier débat.

Si le vote avait lieu aujourd’hui, qui l’emporterait, et par quelle marge ?

Je pense que si l’élection avait lieu aujourd’hui, Biden l’emporterait. Mais on ne peut pas savoir s’il l’emporterait facilement ou difficilement. Je crois que Trump aura du mal à remonter la pente, d’autant plus que la pandémie frappe durement. Que se passera-t-il dans les 10 prochains jours ? Ça, c’est imprévisible. Il ne faut toutefois pas négliger le fait que le 3 novembre, la moitié des Américains inscrits sur la liste électorale aura sans doute déjà voté. C’est une première historique.

La forte participation au vote par anticipation annonce-t-elle une volonté de changement ?

Plus la participation est grande dans une élection présidentielle, plus ça reflète qu’il y a une volonté de changement. En 2008, quand Barack Obama a été élu avec un taux de participation historique, c’était clair que les gens voulaient du changement. Je ne crois pas qu’on atteigne le taux de participation de 2008 cette année, mais je crois qu’on va dépasser celui de 2016 et certainement celui de 2012.

Quel peut être l’impact de ce débat sur les différentes luttes pour le contrôle du Sénat ?

Je ne suis pas sûr qu’il y ait un lien direct entre la performance de jeudi soir et les courses sénatoriales, qui sont plus locales. Ça peut avoir un impact selon les enjeux spécifiques qui sont abordés dans le débat. Il faudrait prendre chacune de ces questions l’une après l’autre pour examiner leur impact dans chaque État où il y a une course serrée. Plus globalement, comme ni Trump ni Biden n’a perdu, je ne crois pas qu’il y ait un impact important qui change l’allure des courses.