(Washington) Dans plusieurs régions des États-Unis, la COVID-19 tue de façon disproportionnée les Noirs, selon de multiples responsables qui réclament la publication de statistiques nationales afin de comprendre l’ampleur du phénomène.

Pour l’instant, les statistiques sont publiées de manière disparate, selon les États et les villes, et ne permettent pas de comprendre si une inégalité spécifique à la COVID-19 est à l’œuvre, ou si la disproportion ne fait que refléter les inégalités socio-économiques et d’accès aux soins qui affectent les Noirs historiquement dans ce pays.

L’État de New York, plus gros foyer américain de l’épidémie, ne publie pas de statistiques par ce que les Américains appellent « race » et ethnicité (Noir, Blanc, Asiatique, Hispanique…), une composante qui fait habituellement partie du paysage statistique aux États-Unis pour tous les domaines, de l’économie à l’éducation et la santé, et apparaît sur les formulaires de recensement.

Mais d’autres juridictions ont choisi de publier des chiffres qui sont alarmants : dans l’Illinois, les Noirs représentent 14 % de la population, mais 42 % des décès de l’épidémie. À Chicago, c’est 72 % des morts, alors qu’ils représentent moins d’un tiers des habitants : des disparités qui « coupent le souffle », a dit la maire de la ville, Lori Lightfoot.

À Washington, 13 des 22 morts étaient Noirs. « J’ai très peur de l’impact disproportionné que ce virus aura sur les Afro-Américains », a dit mardi la maire de la capitale américaine, Muriel Bowser, sur MSNBC.

En Caroline du Nord, 31 % des morts étaient Noirs, contre 22 % de la population. En Louisiane, où se trouve La Nouvelle-Orléans, la disproportion est plus grande encore : 33 % des habitants sont Noirs, mais 70 % des morts l’étaient.  

Pourquoi ?

« Nous savons que les Noirs sont plus susceptibles d’avoir du diabète, des maladies du cœur et des poumons », a dit mardi le médecin en chef des États-Unis, Jerome Adams, sur CBS. Or ces maladies augmentent le risque de complications de la COVID-19 ; les expériences chinoise et européenne l’ont montré.

Lui-même Noir, Jerome Adams a parlé de ses propres problèmes de santé pour illustrer le problème qui affecte sa communauté.

« Je l’ai déjà dit, je fais moi-même de l’hypertension. J’ai une maladie du cœur et j’ai déjà passé une semaine en réanimation à cause d’un problème cardiaque. Je fais de l’asthme et je suis prédiabétique. J’illustre ce que c’est de grandir pauvre et noir en Amérique ».

Moins de dépistages ?

En pleine épidémie, il manque encore des études rigoureuses et de dimension nationale.  

Mais il est avéré que les quartiers pauvres et noirs ont moins de médecins et des hôpitaux de moindre qualité. Que les couvertures médicales des emplois de service sont inférieures à d’autres emplois mieux rémunérés. Un phénomène a aussi été documenté, dans lequel les patients noirs se voient prescrire moins d’examens et de consultations avec des spécialistes que les blancs.

Georges Benjamin, président de l’Association américaine de santé publique (APHA), explique aussi à l’AFP que les Noirs, aux États-Unis, sont plus exposés au coronavirus que des populations plus aisées, dans leur vie quotidienne ou leur travail.

« Cette population fait plus face au grand public », dit-il. « Ils sont plus souvent chauffeurs de bus, ils prennent plus les transports en commun, ils travaillent plus dans les maisons de retraite, les magasins et les supermarchés. »

La distanciation sociale est plus compliquée lorsqu’on habite des quartiers plus denses, des logements plus petits. Quant au télétravail, il est souvent impossible, en raison des types d’emplois. Et se faire livrer des courses à domicile est souvent un luxe.

« Beaucoup d’Américains noirs et d’autres communautés de couleur n’ont pas le privilège de pouvoir se confiner à la maison », ont écrit des centaines de médecins et l’organisation de défense des minorités Lawyers’Committee for Civil Rights Under Law, dans une lettre au secrétaire américain à la Santé.

La situation des minorités ethniques concerne tout le monde, insiste Ebony Hilton, anesthésiste au centre médical de l’université de Virginie, contrairement aux autres problèmes de santé. « Ces travailleurs infectés vont aller au supermarché, et quand les classes les plus aisées d’Amérique iront faire leurs courses, ils seront infectés », dit-elle à l’AFP.

Ici et là, les témoignages se multiplient sur la moindre accessibilité de sites de dépistage dans les quartiers pauvres que les quartiers riches.

Le groupe ci-dessus a sommé les autorités sanitaires fédérales de « publier immédiatement des données ethniques et raciales » sur le dépistage et la prévalence de la COVID-19, afin de déterminer où des moyens supplémentaires doivent être envoyés.

Les Centres de prévention et de contrôle des maladies (CDC) collectent déjà ces informations, écrit le groupe, mais n’a fait que publier des statistiques par âge.