(New York) La scène se déroule six jours avant que le médecin de la Maison-Blanche n’annonce le résultat du test de détection du coronavirus subi par Donald Trump. Le président américain s’adresse à un groupe de riches donateurs républicains à Mar-a-Lago, son domaine de Floride. La veille, il y a côtoyé sans le savoir au moins trois personnes qui auront un résultat positif au test de COVID-19 quelques jours plus tard.

« Nous avons fait du bon travail », dit-il avant de dénoncer les critiques des médias concernant la réponse de son administration au coronavirus. « Ils essaient de faire peur à tout le monde, parlant d’annuler les réunions, de fermer les écoles. Ils veulent détruire le pays. Mais c’est bon tant que nous que gagnons l’élection. […] Je ne crois pas que cela nous nuira. »

La tentation est grande, au sein d’une bonne partie de la population américaine, de mettre en doute tout ce qui émane de la Maison-Blanche. Cela ne vaut pas seulement pour le diagnostic négatif annoncé samedi par le Dr Sean Conley. Cela vaut aussi, et surtout, pour les déclarations du président, qui s’illusionne peut-être sur sa capacité de survivre politiquement à l’épidémie.

« La présidence de Donald Trump est finie », a écrit Peter Wehner, ex-conseiller de trois présidents républicains, dans le magazine The Atlantic, la semaine dernière.

Selon lui, la crise sanitaire a jeté une lumière crue sur tous les défauts de Donald Trump contre lesquels il avait mis en garde les républicains avant l’élection présidentielle de 2016. Il évoquait alors « une combinaison virulente d’ignorance, d’instabilité émotionnelle, de démagogie, de solipsisme et de rancœur ».

Peter Wehner a peut-être sauté trop vite aux conclusions concernant la fin de la présidence de Donald Trump. Mais il est difficile de ne pas conclure avec lui que le président a raté presque tous les tests de leadership depuis le début de la crise.

De Carter à Trump

Et cela inclut son adresse à la nation, mercredi soir dernier. Depuis les causeries radiophoniques de Franklin Roosevelt au plus fort de la Grande Dépression, les présidents américains ont tous utilisé cette formule pour rassurer et mobiliser leurs concitoyens en temps de crise.

Or, l’allocution de Donald Trump passera peut-être à l’histoire comme l’une des pires du genre.

PHOTO DOUG MILLS, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le président Donald Trump, lors de son adresse à la nation, le 11 mars

« J’étais très surpris en regardant le discours, car celui-ci témoignait d’une véritable ignorance de la façon d’utiliser ce format avec succès », a dit à La Presse Michael Socolow, professeur de communication et de journalisme à l’Université du Maine. « Par exemple, le président n’a pas commencé son discours en expliquant pourquoi il s’agissait d’un moment historique. Il n’a pas fourni une information claire et précise. En fait, la Maison-Blanche a dû le corriger sur trois points importants par la suite. Et il a échoué à rassurer avec son ton et ses mots. Autrement dit, il a échoué aux trois tests d’une adresse à la nation. »

Donald Trump ne serait pas le premier président à rater son coup en pareilles circonstances. En 1979, en plein cœur d’une crise énergétique doublée d’une récession économique, Jimmy Carter avait évoqué « une crise de confiance » et appelé ses concitoyens à un effort national pour rompre leur dépendance au pétrole, lors d’une adresse télévisée. Bien reçue initialement, l’allocution allait passer à l’histoire sous le nom de « discours du malaise ».

« Ce discours avait symbolisé le leadership inefficace de Jimmy Carter », a commenté le professeur Socolow. « Il est possible que l’adresse télévisée de Donald Trump finisse par symboliser l’absence de leadership en ce moment de crise. »

Donald Trump peut s’en remettre. Les événements qui surviendront après ce discours sont plus importants que le discours lui-même. Mais je ne sais pas s’il peut se remettre des questions que son leadership soulève.

Michael Socolow, professeur de communication et de journalisme à l’Université du Maine

De la 5e Avenue à la COVID-19

Donald Trump n’est évidemment pas responsable du coronavirus. Et il n’a peut-être joué aucun rôle dans les décisions qui ont contribué aux retards importants dans le déploiement des tests de dépistage de la COVID-19. Mais jusqu’à tout récemment, il aura tout fait pour minimiser l’épidémie, dont il n’a semblé craindre que les retombées politiques et économiques, les deux étant liées à ses chances d’être réélu.

L’histoire retiendra plusieurs de ses déclarations lénifiantes, dont celle-ci, faite le 28 février dernier : « Cela disparaîtra. Un jour, comme par magie, cela disparaîtra. »

Mercredi dernier, quelques heures avant son adresse à la nation, il a répété le même message. Or, deux jours plus tard, il changeait d’approche et déclarait l’état d’urgence, une initiative qui permettra à l’État fédéral de distribuer jusqu’à 50 milliards de dollars aux États et localités pour endiguer l’épidémie.

Ces mêmes États et localités n’ont pas attendu une directive présidentielle pour mettre en place des mesures restrictives afin de faire face au coronavirus. Mesures que le président ridiculisait le 8 mars dernier à Mar-a-Lago, foyer possible de contagion.

Si ces mesures parviennent à freiner l’épidémie aux États-Unis, on devine déjà qui s’en vantera. En attendant, il n’est pas inutile de souligner l’existence d’un clivage politique important autour du coronavirus. Selon un sondage publié le 9 mars par l’Université Quinnipiac, 87 % des électeurs républicains approuvent la façon dont Donald Trump gère l’épidémie, contre 83 % des électeurs démocrates (et 50 % des électeurs indépendants) qui la désapprouvent.

N’en déplaise à Peter Wehner, Donald Trump n’a pas encore dit son dernier mot. Et l’image de cet homme tirant sur quelqu’un en plein milieu de la 5e Avenue sans perdre d’électeurs s’appliquera peut-être au coronavirus.