(Washington) Dénonçant des « fraudes » électorales lors de la présidentielle américaine, Donald Trump a assuré qu’il allait saisir la Cour suprême. Mais, selon les experts, il faudrait que les résultats soient extrêmement serrés et ses arguments solides pour que la haute juridiction accepte d’intervenir.

La pandémie, terreau des griefs

Pour limiter le risque de propagation de la COVID-19, la plupart des États ont élargi la possibilité de voter de manière anticipée ou par courrier. Plus de 100 millions d’Américains en ont fait usage, un record.

Dès cet été, Donald Trump a condamné le vote par correspondance, assurant qu’il facilitait la fraude.

« Ce n’est pas le cas », commente pour l’AFP Ed Foley, expert en droit électoral à l’Université de l’Ohio.  Pour lui, ces votes ont juste ralenti le dépouillement et expliquent pourquoi l’issue du scrutin reste inconnue, mais ils ne posent « aucun problème sur le plan légal ».

Grandes manoeuvres pré-électorales

La modification des règles pour s’adapter à la pandémie a pourtant fait l’objet de nombreuses contestations en justice au cours des derniers mois, notamment de la part des républicains dont les électeurs sont moins adeptes de la procédure.

L’Université de Stanford en a dénombré plus de 300 avant même l’élection.  

Certains recours sont déjà remontés à la Cour suprême. Les républicains de Pennsylvanie, un État-clé, lui avaient notamment demandé d’empêcher le décompte des bulletins postés jusqu’à mardi, mais arrivés dans les trois jours suivant l’élection.  

La haute juridiction avait refusé de se prononcer en urgence, mais pourrait y revenir. Dans cette perspective, les autorités locales ont ordonné de décompter ces bulletins distinctement, pour pouvoir les retirer du total s’ils devaient être invalidés.

Pour le professeur Rick Haser, auteur d’un blogue sur le droit électoral, il est toutefois « très improbable » que la Cour intervienne en ce sens, car au nom des « intérêts des électeurs », elle n’aime pas changer les règles du jeu après coup.

Le jour même du scrutin, le parti du président a intenté de nouvelles actions en Pennsylvanie pour contester la décision de plusieurs comtés d’autoriser les électeurs à corriger les erreurs susceptibles d’invalider leurs bulletins-en rajoutant une signature, ou une enveloppe de protection par exemple.

Ce recours, comme d’autres, pourrait en théorie aboutir devant la Cour suprême, mais à l’heure actuelle ce n’est pas encore le cas.  

Écart très étroit

Des batailles judiciaires pourraient retarder de « plusieurs semaines » l’annonce des résultats, mais « il ne suffit pas d’aller en justice, il faut avoir de quoi le faire et que cela affecte suffisamment de vote », souligne Ed Foley.

Comme les règles électorales varient d’un État à un autre, voire d’un comté à un autre, les plaintes ne portent en effet que sur un nombre limité de suffrages (arrivés après le scrutin, non affranchis, mal signés…) dans une circonscription donnée.

Pour que cela puisse affecter l’issue du scrutin, il faut que l’écart entre les deux candidats soit « extrêmement serré » dans l’État, bien en deçà de « 2 % », ajoute Derek Muller, professeur de droit à l’Université de l’Iowa.  

En 2000, le démocrate Al Gore avait réclamé un nouveau comptage des voix dans quatre comtés de Floride, où des irrégularités avaient été relevées, parce qu’il n’avait que 537 voix de retard sur George W. Bush dans tout l’État. La Cour suprême avait bloqué ce nouveau comptage, donnant la victoire au républicain.  

Sans attendre de connaître les résultats définitifs, Donald Trump a demandé dès mercredi un recomptage des votes dans le Wisconsin, assurant être « dans la marge » qui l’autorise à le faire.   

Cour politisée ?

La Cour suprême est la juridiction de dernier recours aux États-Unis, mais elle n’est pas obligée de se saisir des dossiers qui lui sont transmis. Si elle refuse d’intervenir, la dernière décision, souvent celle d’une cour d’appel fédérale ou d’une Cour suprême d’un État, reste en place.  

En 2000, certains de ses neuf sages avaient regretté qu’elle se mêle de politique, rappelle Derek Muller. « Ses motivations actuelles sont une question ouverte », ajoute-t-il.

Donald Trump a nommé une semaine avant le scrutin la juge conservatrice Amy Coney Barrett, en disant explicitement qu’il voulait qu’elle soit en place pour juger d’éventuels litiges électoraux. Lors de son processus de confirmation, elle a refusé de dévoiler ses positions.  

La Cour suprême des États-Unis, qui est accusée d’être de plus en plus politisée, pourrait être tentée de protéger sa légitimité en restant à l’écart de la mêlée.