Comment font-ils pour voter pour Donald Trump ? Comment certains Américains ne voient-ils pas ce qu’on voit ?

Si Donald Trump se présentait au Québec, il ferait 11 % à tout casser. Dans le Canada entier, 14 % (Léger, octobre).

La réponse est qu’ils voient très bien ce que tout le monde voit.

La réponse, c’est qu’à côté de ceux qui le trouvent divertissant et « antipoliticien », à côté de ces fans, donc, il y a tous les autres qui soit s’en foutent, soit le trouvent vraiment nul… mais votent pour lui parce qu’il va « livrer » ce qu’ils veulent.

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La semaine dernière, à San Antonio, au Texas, un petit groupe m’avait intercepté près du fort Alamo, pour me parler de Jésus. Le lendemain matin, qui je trouve dans un parc de San Antonio ? Encore Walter et sa joyeuse bande de chrétiens ambulants.

Walter parcourt les États-Unis une croix sur l’épaule, avec une roulette en dessous. Une femme vient le rejoindre pour une photo, sans masque. Il s’approche de moi. Je décline le poing qu’il m’offre de toucher.

« Pourquoi je porterais un masque ? On va tous mourir, me dit-il. C’est entre les mains de Dieu. Les gens dans les mines, oui, ils portent des masques, mais ils meurent quand même ! Moi, je suis mort à Jésus. Écoutez, c’est un virus parmi d’autres. Certains en meurent. Mon meilleur ami vient d’en mourir, au fait. C’est comme ça. »

PHOTO YVES BOISVERT, LA PRESSE

Walter et Maria, croisés dans un parc de San Antonio, au Texas

Il n’y a peut-être pas beaucoup de crucifiés à roulettes dans les parcs de ce pays, mais des gens qui tiennent ce discours, si.

La droite religieuse, dans toutes ses déclinaisons, est un segment politique important dans les nébuleuses des électeurs de Donald Trump.

Ils ne s’en remettent pas tous à la Providence, bien sûr, mais qu’ils portent le masque ou pas, ils ont ceci en commun : la question de l’avortement (et donc de la nomination de juges conservateurs) leur suffit pour décider de leur vote. Et ils sont très mobilisés.

C’est un des groupes qui ont voté et voteront encore pour Donald Trump sans l’admirer, et en voyant parfaitement ses travers. À travers cet homme à la morale douteuse, la volonté de Dieu peut s’accomplir, à leurs yeux. Ou, pour ceux qui sont moins mystiques : on va empêcher les démocrates d’autoriser tout type d’avortement pour toujours.

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À côté de ça, il y a le groupe des conservateurs « fiscaux ». Pour eux, l’État est toujours trop gros. C’est aux individus de s’en sortir. Il y a toujours trop de taxes et d’impôts. Ils ne veulent pas donner de leur argent pour les autres : ils n’ont qu’à travailler plus fort. Derrière ce discours sommeille parfois un fond raciste, vu que les plus pauvres sont bien souvent des Afro-Américains ou des Latinos. Encore que les organisateurs républicains mettent en relief les Latinos pour Trump, les Noirs pour Trump, à côté des gais pour Trump…

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Une irréductible du président des États-Unis arbore un t-shirt du mouvement « Natives for Trump »

Ce bloc conservateur ne votera tout simplement pas pour un président démocrate. Certains aiment le discours musclé de Trump. Mais plein de gens pensent surtout à la machine de guerre et à l’énergie agressive qu’elle déploie pour écraser les démocrates.

La crainte du « socialisme », voire du « communisme », existe réellement. Pour bien des Américains, « redistribution de la richesse » est synonyme de socialisme liberticide. Le Canada est donc un pays socialiste – encore qu’ils s’intéressent généralement très peu aux autres pays et ne se soucient pas trop de ce qui se passe dans ce territoire tranquille et glacé peuplé de gens excessivement polis.

Un système de santé universel relève à leurs yeux d’une forme abâtardie de marxisme. Bernie Sanders ne se décrit-il pas d’ailleurs lui-même comme un socialiste ?

N’oublions pas que ce pays est né d’une révolte antitaxes et que la méfiance envers le gouvernement est inscrite dans son acte de naissance.

Bref, Trump parle de baisses de taxes et d’impôts, qu’importe si c’est pour les entreprises ou les ultrariches ; il empêche en plus les démocrates de revenir avec leur « gros gouvernement », ou leur État-nounou, comme ils disent.

Ça ne veut pas dire qu’ils aiment le style de l’homme. Ils excusent tous ses travers, toutes ses malhonnêtetés, ses mensonges parce que c’est par lui que la victoire arrive, ou que c’est un rempart contre ce « socialisme » fourre-tout. Ils diront : c’est le style New York, c’est du théâtre, l’important c’est ce qu’il fait.

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Quand on parle de sa « base », donc, ce ne sont pas seulement ceux qui veulent bannir les migrants, les musulmans, les réfugiés pour lutter contre le crime et le terrorisme. Ce ne sont pas seulement ceux qui ont peur qu’on vienne saisir leurs armes à feu. Ceux qui aiment son humour hargneux. Ceux qui ont peur des émeutes dans les villes. Ceux qui disent « White lives matter », qui ont peur qu’on désintègre les forces policières. Les suprémacistes blancs. Ceux qui voient en lui un homme contre tous les establishments. Ou ceux qui pensent que c’est un homme d’affaires génial qui saura faire « rouler l’économie ».

C’est aussi ceux qui, sans être le moindrement séduits par le personnage, voient leur intérêt dans ce que le candidat propose. Et pour les groupes religieux, avec un tiers des juges des cours d’appel fédérales et le tiers des juges à la Cour suprême, Trump a indéniablement « livré ». Comme il a fait passer des diminutions d’impôt importantes, ayant profité surtout aux 20 % les plus riches et aux entreprises.

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Un partisan de Donald Trump montre sa casquette autographiée par le guitariste Ted Nugent

Il ne faut pas trop se fier à la caricature du fan. Ni se contenter de la catégorie statistique « homme blanc sans diplôme universitaire », que les sondeurs ont identifiée comme sa source d’électeurs la plus fidèle. Les gens qui ont voté et qui voteront mardi, peut-être à plus de 45 %, sont un amalgame qui n’est pas homogène, ne se réduit pas à un type. Certains le voient comme un idiot ou, plus souvent, ne le regardent pas vraiment.

Ils ne sont pas fous non plus, quoi qu’on en pense un peu au nord du Vermont. Ils voient le monde et l’État d’une tout autre manière.