Entre un premier ministre canadien et un président américain, on ne reverra pas de sitôt un lien fort comme celui unissant Brian Mulroney et Ronald Reagan. Comment oublier cette scène de mars 1985 lors d’un sommet entre les deux pays ? Sur la scène du Grand Théâtre de Québec, ils ont entonné ensemble When Irish Eyes Are Smiling, un classique de la chanson traditionnelle irlandaise.

On imagine mal pareille complicité entre Justin Trudeau et Donald Trump. Les insultes du président à l’endroit du premier ministre à l’issue du Sommet du G7 en 2018 définissent leurs liens personnels. Et les négociations tendues qui ont conduit à un nouveau traité de libre-échange illustrent l’approche américaine envers le Canada.

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« En analyse finale, il n’est pas important que le président des États-Unis et le premier ministre du Canada chantent ensemble When Irish Eyes Are Smiling ou Kumbaya, écrit notre chroniqueur. Mais pour le progrès de l’Amérique du Nord, il est crucial que leur relation soit empreinte de respect mutuel et de compréhension. » Ici, Justin Trudeau, premier ministre du Canada, et Donald Trump, président des États-Unis, en 2017.

Rappelons-nous : à l’amorce des pourparlers, on croyait que le Mexique était la cible des Américains dans leur quête d’allègements. On a vite compris que nous ne serions pas épargnés.

Le gouvernement Trudeau a fait face à des demandes agressives dans plusieurs secteurs de l’économie, comme la construction automobile et les produits laitiers. Tout au long de ces négociations, on n’a jamais senti les États-Unis sensibles à la réalité canadienne. Le ton de leurs représentants était acrimonieux.

Le nouvel accord tout juste en vigueur, l’administration Trump est revenue à la charge à propos de l’aluminium. Elle a justifié par la « sécurité nationale » son intention de limiter l’accès canadien au marché américain. Il faut se pincer pour le croire ! Comme si le Canada posait un risque de « sécurité » pour les États-Unis.

La dispute s’est réglée après la menace canadienne d’imposer des tarifs punitifs sur plusieurs produits américains.

Tant mieux, mais ce n’est pas ainsi que nos rapports avec les États-Unis devraient se vivre. Hélas, Trump les a empoisonnés. Selon un sondage récemment publié dans le quotidien torontois The Globe and Mail, 63 % des Canadiens ont une opinion défavorable des États-Unis, du jamais-vu depuis la première enquête à ce sujet en 1982.

Sur le plan international, par exemple, Trump aurait pu accentuer la pression sur la Chine afin de libérer les Canadiens Michael Kovrig et Michael Spavor, qui paient pour l’arrestation – à la demande des États-Unis – de Meng Wanzhou, dirigeante de Huawei. Il a plutôt compliqué les choses en traitant le dossier comme un « deal » d’affaires.

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L’économie n’est pas le seul élément expliquant pourquoi l’élection américaine est si importante pour le Canada. Non, impossible de l’analyser avec le détachement qu’on réserverait à un rendez-vous électoral en Grande-Bretagne ou en Allemagne.

Les États-Unis, pour le meilleur et pour le pire, sont la plus grande puissance du monde. Ils sont aussi nos voisins immédiats, et leurs choix résonnent dans nos vies quotidiennes, peu importe qu’il s’agisse d’enjeux sociaux, de technologie, de culture ou de sport.

Cette élection est aussi déterminante sur le plan mondial. La réélection de Trump cimenterait la perte de leadership moral des États-Unis dans le monde.

L’admiration du président pour Vladimir Poutine, son flirt indécent avec Kim Jong-un et, surtout, son mépris pour des leaders démocrates comme Angela Merkel, Emmanuel Macron et Justin Trudeau ternissent déjà l’image américaine. Un deuxième mandat accentuerait ce phénomène.

L’histoire des États-Unis regorge de bavures sur la scène internationale. Les concepts américains de liberté et de justice ont néanmoins influencé le développement du monde contemporain. Aujourd’hui, on cherche – sans la trouver – une manifestation concrète de cet idéal.

La Maison-Blanche crache des insultes à ses adversaires politiques et demande la mise en accusation des plus célèbres. Elle attaque sans relâche la liberté de la presse, multiplie les clins d’œil à l’extrême droite, nourrit le ressentiment des uns envers les autres et ne cache pas sa misogynie. Vendredi dernier, Trump a ainsi déclaré à propos de Kamala Harris : « Nous n’aurons pas un président socialiste, spécialement une femme présidente socialiste. »

Face à cette nouvelle attitude américaine, des dirigeants de plusieurs pays autocrates se croient désormais tout permis. L’Oncle Sam n’a plus la hauteur pour exercer une salutaire pression. C’est vrai dans des enjeux liés aux droits de la personne, à l’égalité des chances entre les individus et à la protection de l’environnement.

Le refus de Trump d’écouter la science est aussi troublant. Résultat, le prestigieux magazine Scientific American, pour la première fois en 175 ans d’histoire, a appuyé un candidat en vue de l’élection présidentielle, Joe Biden.

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Certains diront que les liens économiques entre les États-Unis et le Canada demeureront tendus si Joe Biden est élu. Après tout, les démocrates sont souvent plus protectionnistes que les républicains.

Ce raisonnement fait abstraction d’un élément crucial : Trump n’est pas un républicain traditionnel. Il a créé un mouvement politique, le trumpisme, qui trouve refuge dans la coquille républicaine. Pour le Canada, c’est le pire des scénarios. Parce que son administration oublie l’histoire et se moque de ses alliés.

Mulroney était un progressiste-conservateur. Et il a conclu des accords avec Reagan, qui représentait des valeurs républicaines souvent éloignées de celles du Canada, notamment en matière de soins de santé.

En analyse finale, il n’est pas important que le président des États-Unis et le premier ministre du Canada chantent ensemble When Irish Eyes Are Smiling ou Kumbaya. Mais pour le progrès de l’Amérique du Nord, il est crucial que leur relation soit empreinte de respect mutuel et de compréhension.

Et pour le monde dans son entièreté, il est essentiel que les États-Unis jouent un rôle positif, fidèle aux valeurs ayant conduit à la création de ce pays : liberté et démocratie.

Voilà pourquoi l’élection du 3 novembre nous touche aussi.