(New York) Lindsey Graham, allié loyal ou servile de Donald Trump – c’est selon –, n’a presque aucune marge d’erreur.

Lundi matin, le sénateur républicain de Caroline du Sud mettra son chapeau de président de la commission judiciaire du Sénat et lancera les auditions sur la nomination de la juge conservatrice Amy Coney Barrett pour remplacer l’icône féministe Ruth Bader Ginsburg à la Cour suprême des États-Unis.

Un faux pas – ou quelques cas additionnels de contamination par la COVID-19 chez les sénateurs républicains – pourrait mettre en péril la réalisation de son objectif : assurer un vote de confirmation de la magistrate par le Sénat avant l’élection présidentielle.

Or, l’atteinte de cet objectif est une arme à double tranchant. Car elle pourrait autant aider que nuire au politicien célibataire de 65 ans dans la poursuite de son autre grand défi : décrocher son quatrième mandat au Sénat des États-Unis.

Il va sans dire que l’élection présidentielle dominera le rendez-vous électoral du 3 novembre aux États-Unis. Mais parmi les autres affrontements qui marqueront cette journée-là, celui mettant aux prises Lindsey Graham et le démocrate Jaime Harrison, avocat afro-américain, est l’un de ceux qui suscitent le plus d’intérêt.

Intérêt qui tient en partie à l’évolution spectaculaire des relations entre Lindsey Graham et Donald Trump. Lors de la course à l’investiture républicaine pour l’élection présidentielle de 2016, le premier a traité le second de tous les noms : taré, intolérant, perdant, xénophobe et raciste, entre autres. Quatre ans plus tard, il lui sert régulièrement de partenaire de golf et ne semble reculer devant aucune manœuvre pour l’aider. Au point que certains se demandent si le président ne détient pas d’informations compromettantes au sujet du sénateur.

Autre motif d’intérêt : le style théâtral de Lindsey Graham, dont il a donné un exemple récemment en multipliant les apparitions sur Fox News pour quémander de l’argent.

Hypocrisie pure et simple ?

« Aidez-moi, ils sont en train de me tuer financièrement. Aidez-moi », a déclaré le sénateur d’une voix plaintive aux fidèles de l’animateur Sean Hannity le 24 septembre dernier. Il a répété l’appel le lendemain et le surlendemain à d’autres émissions de la chaîne conservatrice.

Lindsey Graham exagérait à peine. Et l’avantage financier de son rival ne s’est pas atténué depuis. Jaime Harrison a annoncé dimanche une récolte de 57 millions de dollars pour le troisième trimestre de l’année, un record pour un candidat au Sénat. Avant cette annonce, il devait dépenser 51 millions de dollars en publicités télévisées d’ici la fin de la campagne contre 18 millions pour le sénateur républicain, selon une estimation.

La manne du candidat démocrate, qui afflue des quatre coins des États-Unis, lui permet de répéter à satiété un même message aux électeurs de Caroline du Sud : Lindsey Graham a manqué à sa parole. Et pas à peu près.

Les pubs de Jaime Harrison et de ses alliés contiennent des extraits vidéo remontant à 2016 et à 2018 où le sénateur républicain s’engage à ne pas pourvoir un siège laissé vacant à la Cour suprême durant la dernière année du mandat d’un président républicain.

« Je veux que vous utilisiez mes mots contre moi », avait-il déclaré à ses critiques en 2016.

« Si une vacance survient dans la dernière année du mandat du président Trump, et que la période des primaires a commencé, nous attendrons à la prochaine élection », avait-il ajouté en 2018.

Lindsey Graham a fait ces déclarations en tentant de justifier le refus des républicains d’examiner la nomination à la Cour suprême du juge Merrick Garland par Barack Obama pour remplacer le très conservateur Antonin Scalia, mort en février 2016.

Comment le sénateur républicain se justifie-t-il aujourd’hui d’avoir changé d’opinion à la suite de la nomination de la juge Barrett à 38 jours du scrutin présidentiel ?

« Après [Brett] Kavanaugh, les règles ont changé en ce qui me concerne », a-t-il déclaré sur NBC en faisant allusion aux accusations d’agression sexuelle qui ont visé le juge en octobre 2018 après sa nomination à la Cour suprême.

Pas de test, pas de débat

En temps normal, Lindsey Graham ne devrait pas avoir de mal à être réélu dans un État longtemps considéré comme un bastion conservateur. Mais plusieurs récents sondages le placent sur un pied d’égalité avec Jaime Harrison.

PHOTO JOSHUA BOUCHER, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le candidat démocrate Jaime Harrison

Âgé de 44 ans, le candidat démocrate ne casse pourtant pas la baraque. Ayant reçu un diagnostic de prédiabète, cet ancien lobbyiste et président du Parti démocrate de Caroline du Sud a réduit au maximum ses déplacements en raison de la COVID-19. Lors de son premier débat contre Lindsey Graham, il a même fait installer une vitre de plexiglas pour le séparer de son rival.

Ce qui ne l’a pas empêché de montrer un certain talent de débatteur.

« Mon grand-père m’a toujours dit : “Jaime, la valeur d’un homme se mesure à sa parole.” Eh bien, sénateur, que vaut votre parole quand vous avez promis au peuple américain et aux gens de Caroline du Sud que vous ne feriez pas ce que vous faites aujourd’hui ? », a-t-il demandé en s’adressant à son rival.

En prévision du second débat, prévu vendredi dernier, le candidat démocrate a réclamé que son adversaire se soumette à un test de dépistage de la COVID-19 en raison de ses contacts avec des collègues républicains qui ont été déclarés positifs depuis le début du mois, soit Mike Lee (Utah), Thom Tillis (Caroline du Nord) et Ron Johnson (Wisconsin).

Lindsey Graham s’y est refusé, et le débat n’a pas eu lieu.

Qu’à cela ne tienne, le sénateur républicain aura la chance au cours des prochains jours de démontrer sa valeur aux nombreux électeurs conservateurs de son État en assurant la confirmation de la juge Barrett à la Cour suprême.

Mais combien d’électeurs modérés ou indépendants de la Caroline du Sud a-t-il perdus en se pliant aux quatre volontés de Donald Trump et en reniant sa parole ? La réponse viendra le 3 novembre.

Un sondage qui en rappelle un autre

Joe Biden a récolté 54 % des intentions de vote, contre 42 % pour Donald Trump, selon un sondage national ABC News/Washington Post publié dimanche. À trois semaines et un jour de l’élection présidentielle, il jouit ainsi d’une solide avance de 12 points de pourcentage – qui en rappelle une autre.

Le 24 octobre 2016, les mêmes médias avaient également crédité Hillary Clinton d’une avance de 12 points de pourcentage sur Donald Trump, à 15 jours seulement du scrutin présidentiel.

Compte tenu du résultat final de l’élection présidentielle de 2016, faut-il se méfier du nouveau sondage ABC News/Washington Post ?

Les chiffres se ressemblent, mais le contexte diffère.

Le 24 octobre 2016, l’avance de la candidate démocrate dans le sondage ABC News/Washington Post était nettement supérieure à la moyenne des sondages de RealClearPolitics, qui se situait ce jour-là à 5,5 points de pourcentage (Clinton devait remporter le vote populaire par 2,1 points de pourcentage et perdre le vote du Collège électoral).

Dimanche, en revanche, la moyenne des sondages de RealClearPolitics donnait à Joe Biden une avance de 9,8 points de pourcentage, ce qui s’approche passablement du résultat du sondage ABC News/Washington Post.

Rappelons que le directeur du FBI de l’époque, James Comey, avait annoncé la réouverture de l’enquête sur les courriels d’Hillary Clinton le 28 octobre 2016.