(New York) Il y a une semaine, la ville de New York a célébré ses premières 24 heures sans une seule mort attribuée à la COVID-19 depuis le 11 mars. Le même jour, elle a aussi observé une minute de silence pour Davell Gardner Jr., mort dans sa poussette à l’âge de 1 an lorsqu’une balle perdue l’a atteint à l’estomac durant un barbecue à Brooklyn.

La mort du petit Davell est survenue quelques jours après une autre tragédie du genre, filmée celle-là. Un père tenant la main de sa fillette de 6 ans traverse une rue du Bronx en fin d’après-midi lorsqu’une voiture s’approche à sa hauteur. Des coups de feu éclatent en provenance de la voiture. L’homme s’affaisse sur le pavé après avoir été atteint à la poitrine. Prise de panique, sa fille quitte la scène à toutes jambes, alors que la voiture et ses occupants détalent dans une autre direction. On apprendra plus tard que la victime a été confondue avec une autre personne.

Ces fusillades mortelles ne sont pas des cas isolés. Elles s’inscrivent dans une flambée de violences armées qui frappe maintes villes américaines depuis quelques semaines, dont New York, Chicago, Atlanta, Houston, Washington et Minneapolis. Flambée dont les victimes sont presque toutes afro-américaines et trop souvent mineures.

Certains évoquent maintenant une « double épidémie », celle de la COVID-19 et celle qui prend la forme de ces fusillades mortelles. D’autres parlent d’une « tempête parfaite ». Les fusillades et les homicides ont tendance à augmenter dans les grandes villes américaines en été. Or, à ce phénomène récurrent, il faut ajouter deux nouveaux facteurs : les effets de la récession économique provoquée par la pandémie et les retombées des manifestations qui ont suivi le meurtre de George Floyd, à Minneapolis.

Ces retombées incluent la décision de certaines municipalités, dont New York, Los Angeles et Minneapolis, de réduire le budget de leur service de police ou d’adopter des réformes. En réaction, des policiers semblent recourir à la grève du zèle pour manifester leur mécontentement face à la façon dont ils sont traités par le public et les élus.

Baisse des arrestations

Chaque ville affronte des problèmes distincts. Le cas de New York peut néanmoins illustrer cette grève du zèle présumée. À la mi-juillet, le nombre total d’arrestations y avait chuté de 62 % sur les quatre semaines précédentes par rapport à la même période l’année dernière, selon des données policières obtenues par le New York Times. Ce déclin se reflétait notamment dans le nombre d’arrestations pour possession illégale d’arme à feu, en baisse de 67 %.

Au même moment, les coups de feu se sont remis à retentir à New York. Le 5 juillet dernier, la métropole américaine déplorait une augmentation de 53 % du nombre de fusillades par rapport à la même période l’an dernier. À Chicago, où au moins 12 mineurs sont morts par balle cet été, la hausse se situait à 46 %. À Atlanta, où Secoriea Turner, fillette de 8 ans, a été tuée pendant le week-end de la fête de l’Indépendance, elle s’établissait à 23 %.

« Vous avez abattu et tué un bébé », s’est indignée la mairesse d’Atlanta, Keisha Lance Bottoms, au lendemain de la mort de la petite Secoriea, qui s’est produite près du terrain de stationnement où Rayshard Brooks, Afro-Américain, a été tué par un policier blanc, le 12 juin dernier.

PHOTO ANDREW HARNIK, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Keisha Lance Bottoms, mairesse d’Atlanta

Il y a des manifestants pacifiques partout dans cette ville et dans ce pays, et je les applaudis […]. Mais ces fusillades dignes du wild west doivent cesser. Elles doivent cesser.

Keisha Lance Bottoms, mairesse d’Atlanta

Son homologue de New York, Bill de Blasio, a tenu le même discours jeudi dernier lors d’une conférence de presse tenue conjointement avec le chef de la police new-yorkaise, Dermot Shea.

« La violence doit cesser. Ce n’est pas acceptable », a-t-il déclaré en présentant un plan en six points pour combattre le problème des fusillades.

Il n’a pas accusé le corps policier de mener une grève du zèle. Cependant, d’autres l’ont fait, dont le président du comité de la sécurité publique du conseil municipal. « À l’heure actuelle, les communautés sont prises en otage par les policiers et les criminels en même temps », a dit Donavan Richards.

Des élus « lâches »

Chose certaine, le chef de la police new-yorkaise n’est pas toujours sur la même longueur d’onde que son patron, le maire de New York. En privé, il a traité de « lâches » les élus, dont Bill de Blasio, qui ont adopté et promulgué la semaine dernière un règlement permettant de poursuivre au criminel les policiers recourant à des prises d’étranglement.

PHOTO FRANK FRANKLIN II, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Bill de Blasio, maire de New York

« Ils ne savent pas de quoi ils parlent », a déclaré Dermot Shea lors d’une intervention devant des hauts gradés du service de police, dans un enregistrement vidéo obtenu par le Daily News de New York.

« Je n’ai rien à leur dire. Mais nous n’allons pas les laisser détruire cette ville », a-t-il ajouté.

La ville de New York n’a jamais assisté à une telle division entre son maire et le chef du New York Police Department depuis que Rudolph Giuliani a viré William Bratton, dont les exploits lui faisaient de l’ombre.

La flambée de violences armées a également vicié davantage les relations déjà mauvaises entre Donald Trump et les grandes villes américaines. Au cours des dernières semaines, le président a menacé de déployer des forces fédérales à Chicago, à Seattle et à Portland, entre autres, afin d’y rétablir la « loi et l’ordre ».

Ces villes « sont comme des zones de guerre », a-t-il déclaré récemment en précisant qu’elles étaient toutes dirigées par des « démocrates de gauche ».

« Nous n’allons pas tolérer cela. Nous n’allons pas tolérer cela », a-t-il répété.

Quelques jours plus tard, des agents fédéraux en tenue de combat ont fait leur apparition dans les rues de Portland, en Oregon, suscitant l’indignation des élus locaux. Ceux de Chicago ou d’Atlanta doivent-ils s’attendre à pareilles interventions dans les rues de leur ville ?