(NEW YORK) « Le président commençait sa journée officielle dans le bureau Ovale avec un breffage de renseignement à 8 h […]. Cette réunion, appelée breffage quotidien du président (PDB), était organisée par la CIA et durait de 10 à 15 minutes. »

Ce passage est tiré du livre de John Bolton, The Room Where It Happened. Il ne décrit pas l’horaire quotidien de Donald Trump, qui se pointe dans le bureau Ovale à 11 h, mais celui de George Bush père. L’auteur y fait allusion pour illustrer l’abîme entre la façon dont ces deux présidents américains ont traité le PDB, sommaire quotidien des complots et menaces auxquels font face les États-Unis partout dans le monde.

« De façon générale, Trump avait deux breffages de renseignement par semaine, et la plupart du temps, il parlait plus longuement que le responsable du renseignement, et souvent sur des questions sans aucun rapport avec les sujets traités », écrit l’ancien conseiller de la Maison-Blanche pour la sécurité nationale.

Cette description ne peut être ignorée complètement lorsque vient le temps d’analyser la nouvelle affaire russe qui vient d’éclater à Washington : selon des responsables américains, une unité de renseignement militaire russe (GRU) aurait distribué secrètement de l’argent à des combattants islamistes et à des criminels « proches des talibans » pour qu’ils tuent des soldats américains ou de l’OTAN en Afghanistan.

Le New York Times a publié cette allégation explosive vendredi dernier, suivi de près par le Washington Post et le Wall Street Journal. Le journal de référence a affirmé que Donald Trump avait été informé de la provocation russe en mars dernier, mais qu’il n’avait autorisé aucune mesure de représailles contre la Russie ni même adressé au Kremlin, par voie diplomatique, le moindre grief.

Un scénario troublant

Vingt-cinq longues heures après la bombe du Times, la porte-parole de la Maison-Blanche, Kayleigh McEnany, a démenti que Donald Trump ou son vice-président, Mike Pence, aient été mis au courant des primes russes, dont elle n’a pas, au demeurant, nié l’existence. Dimanche matin, le président y est allé de son propre démenti.

« Personne ne m’a informé, ou n’a informé le vive-président Mike Pence ou le chef de cabinet Mark Meadows sur les prétendues attaques sur nos troupes en Afghanistan par les Russes, a-t-il tweeté. Tout le monde le nie et il n’y a pas eu beaucoup d’attaques contre nous. »

Qu’à cela ne tienne : entre les démentis de Kayleigh McEnany et de Donald Trump, le New York Times est revenu à la charge avec un nouvel article citant un responsable anonyme selon lequel l’information sur les primes russes a été communiquée « aux niveaux les plus élevés de la Maison-Blanche ». Le journal ajoute que l’information se trouvait aussi dans les PDB, dont le président actuel ne lit jamais les versions écrites.

PHOTO BRENDAN SMIALOWSKI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

John Bolton, ancien conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump

Aussi incroyable que cela puisse paraître, la Maison-Blanche dit peut-être la vérité. John Bolton et d’autres ont raconté que les responsables des breffages du président avaient appris à éviter d’aborder en présence de Donald Trump les sujets susceptibles de lui faire péter les plombs, dont la question de l’interférence russe dans les élections américaines. Ils ont aussi dit que le président souffrait d’un sérieux déficit d’attention.

Mais le scénario le plus probable et troublant est celui d’un président qui savait et qui n’a rien fait. En fait, Donald Trump a récemment invité Vladimir Poutine à se joindre au G7. Si un tel scénario mettait en scène un président démocrate, les élus républicains et les médias conservateurs crieraient à la trahison. Or, ils se font aujourd’hui discrets, laissant aux démocrates le soin de tirer les conclusions les plus sombres.

Aussi, samedi soir, Joe Biden a reproché à Donald Trump de continuer à s’agenouiller devant Vladimir Poutine en refusant de punir la Russie « pour cette violation flagrante de la loi internationale ».

« Sa présidence en entier a été un cadeau à Poutine, mais cela dépasse les bornes », a dit l’ancien vice-président, dénonçant lors d’une assemblée virtuelle « une trahison du devoir le plus sacré que nous avons en tant que nation, soit de protéger et d’équiper nos soldats lorsque nous les mettons en danger ».

L’enquête à propos d’une enquête

Ce n’est certainement pas l’affaire russe dont Donald Trump veut parler à l’approche de l’élection présidentielle. Le président attend avec impatience les résultats d’une investigation criminelle lancée l’an dernier sur la genèse de l’enquête du FBI sur l’ingérence russe dans l’élection présidentielle de 2016.

Donald Trump espère que cette investigation mènera à des inculpations contre d’anciens responsables du FBI, dont James Comey, et peut-être même de la CIA. Il souhaite aussi qu’elle invalide les conclusions du renseignement américain et de la commission du Renseignement du Sénat selon lesquelles la Russie a interféré dans l’élection présidentielle pour l’aider.

Cette investigation, faut-il le rappeler, est menée par le procureur John Durham à la demande du procureur général des États-Unis William Barr, dont l’impartialité est mise en doute.

Mais la nouvelle affaire russe ramène à l’avant-scène la relation mystérieuse entre Donald Trump et Vladimir Poutine. Le président américain a déjà manifesté la plus grande complaisance à l’égard de son homologue russe. Lors de la fameuse conférence de presse qui avait suivi le sommet d’Helsinki entre les deux hommes, il avait notamment placé la crédibilité du renseignement américain à égalité avec celle de l’ancien colonel du KGB.

Dans son livre, John Bolton rappelle la consternation des responsables de la sécurité nationale américains, anciens ou actuels, face aux propos de Donald Trump à Helsinki. Il cite notamment une confidence de l’ancienne secrétaire d’État Condolezza Rice sous George W. Bush : « Tu sais, John, que Poutine ne connaît que deux façons de traiter les gens, soit il les humilie, soit il les domine, et on ne peut pas lui permettre de le faire impunément. »