Finalement, les conservateurs américains pensaient avoir réussi. Une solide majorité de juges de droite à la Cour suprême était enfin réalisée, quand Donald Trump a nommé un deuxième juge.

Mais cette semaine, coup sur coup, la Cour suprême des États-Unis a infligé deux défaites majeures à l’administration Trump. Et ça vient de tirs amis.

Jeudi, à cinq contre quatre, les juges ont dit que la manière dont Trump avait mis fin au programme des « Dreamers » était illégale. Ces 700 000 enfants d’immigrants illégaux, ayant vécu essentiellement aux États-Unis, s’étaient fait offrir une régularisation de leur statut sous Obama. La décision est hautement technique, mais ce que la Maison-Blanche a retenu, c’est qu’elle est signée par le juge en chef John Roberts.

Roberts, il est vrai, est moins prévisible que ne l’aurait souhaité la droite américaine quand George W. Bush l’a nommé. Il a par exemple « sauvé » la réforme de la santé d’Obama en 2012. Il a dénoncé le commentaire de Trump ayant parlé d’un « juge d’Obama ». Mais rien de tonitruant, et à voir le nombre des remarques que Trump a faites pour attaquer le judiciaire (le juge « mexicain », etc.), on ne peut pas dire qu’il a été féroce pour remettre le président à sa place.

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John Roberts, juge en chef de la Cour suprême américaine

On a observé que depuis sa nomination, il y a 15 ans, Roberts a signé des décisions en accord avec chacun de ses collègues.

N’empêche : il était censé être un conservateur fiable !

« Je crois que la Cour suprême ne m’aime pas », a tweeté Trump, puisque pour lui, évidemment, tout est « personnel ».

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Le coup le plus dur à encaisser est cependant arrivé lundi, quand la Cour suprême a donné une victoire majeure aux gais et aux trans. À six contre trois, cette fois, la Cour a conclu que le Civil Rights Act de 1964, qui interdit la discrimination fondée sur le « sexe », inclut la protection des homosexuels et des personnes trans.

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À Washington, un homme célèbre la décision rendue par la Cour suprême des États-Unis lundi, dans laquelle elle conclut que le Civil Rights Act, qui interdit la discrimination fondée sur le « sexe », inclut la protection des homosexuels et des personnes trans.

Et le pire : la décision majoritaire a été signée par un « juge de Trump », Neil Gorsuch, le premier des deux juges nommés par Trump. Avec le « bloc progressiste » et (encore !) le juge en chef, cela faisait 6-3.

Comme une façon de dire : en passant, on n’est juge de personne, on est juge de la loi et de la Constitution…

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Ça ne veut pas dire que la Cour vient de virer à bâbord, ou que le bloc « progressiste » a aspiré de nouveaux juges vers lui.

Ce que ces décisions nous disent, c’est que cette cour sera moins prévisible qu’on aurait pu le penser.

C’est un rappel, hélas nécessaire, du fait qu’un juge, même dans cette cour hautement politique, n’est pas un législateur, encore moins une extension du pouvoir qui l’a nommé. Il doit faire reposer sa décision sur un raisonnement juridique, des textes de loi, des précédents.

On parle tout le temps des décisions serrées à 5-4, mais on oublie de dire que le résultat le plus fréquent est… 9-0.

Seulement 7 décisions ont été rendues à 5-4, cette année judiciaire, contre 16 à 9-0, 4 à 8-1, 7 à 7-2… En 2014, 72 % des décisions étaient unanimes. Bref, c’est seulement dans les décisions les plus explosives qu’on revient aux conflits idéologiques irréductibles, où d’un côté on a les juges voulant lire les intentions des Pères de la Constitution il y a 250 ans, de l’autre, ceux qui veulent en faire évoluer le sens.

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Des analystes ont dit cette semaine que ces décisions indiquent un désir de la cour Roberts de réaffirmer l’indépendance du judiciaire, comme contrepoids au pouvoir du président. Comme quand la Cour avait dit en 2004 que tous les accusés de Guantánamo avaient un recours devant les tribunaux civils, ce que leur refusait l’administration Bush, invoquant des pouvoirs de temps de guerre.

Certains ont aussi dit que la Cour trouvait souvent le moyen, quand on s’y attend le moins, d’être au diapason de l’époque. 

J’attendrais de voir ce qu’elle dira d’ici quelques jours dans les dossiers touchant au droit à l’avortement.

Après avoir été divisée en deux blocs de quatre juges, avec au milieu le juge Anthony Kennedy, qui penchait tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, la majorité conservatrice semblait solide. Sauf si Roberts joue les Kennedy…

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Ce qui est déjà clair, c’est que la droite conservatrice et religieuse est furieuse.

Personne ne l’a mieux exprimé que le sénateur républicain du Missouri Josh Hawley.

Le mouvement de conservatisme juridique est mort, a-t-il dit. Il y avait une sorte d’entente tacite : la droite religieuse va aider les républicains à gagner les élections ; elle laissera les « conservateurs fiscaux » favoriser les riches, diminuer les impôts, etc. Mais en échange, les républicains devaient « livrer » une Cour suprême conservatrice. D’abord et avant tout pour annuler la décision de 1973 légalisant l’avortement. Mais pour tous les enjeux sociaux.

Et ça n’a pas vraiment marché. Ni pour l’avortement ni pour le mariage gai, et voilà qu’on étend la protection contre les congédiements fondés sur le sexe aux gais et transgenres.

Ce ne sera pas la première fois qu’un président conservateur a eu des surprises. Eisenhower a nommé deux des juges qui ont le plus révolutionné le droit américain – chose totalement imprévisible qu’il a amèrement regrettée. Bush père a nommé David Souter, qui s’est rangé chez les « progressistes ». Bush fils a nommé Roberts.

Jusqu’ici, les « juges de Trump » ont été de solides conservateurs.

Gorsuch vient seulement de dire qu’il n’est pas le juge de Trump. Et que la primauté du droit n’est pas morte…