Mercredi soir dernier, des manifestants de Richmond, ancienne capitale des États confédérés durant la guerre de Sécession, ont projeté une image de George Floyd sur l’immense statue équestre de Robert E. Lee, commandant en chef de l’armée sudiste.

Ces Virginiens, afro-américains pour la plupart, ne demandaient pas seulement justice pour George Floyd. Ils réclamaient également le déboulonnage de cette statue et de trois autres qui se dressent le long de Monument Avenue. La mort horrible de l’Afro-Américain de Minneapolis a fait renaître en eux le désir puissant d’en finir avec ces symboles de la suprématie blanche et des mythes de la « Cause perdue ». Désir que certains d’entre eux avaient exprimé de façon violente les nuits précédentes.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE TWITTER RACECAPITOL

Des manifestants de Richmond, ancienne capitale des États confédérés durant la guerre de Sécession, ont projeté une image de George Floyd sur l’immense statue équestre de Robert E. Lee, commandant en chef de l’armée sudiste.

Le lendemain, le gouverneur de Virginie et le maire de Richmond ont acquiescé à leur demande. Ils ont eux-mêmes dénoncé cette « Cause perdue » qui fait encore dire à certains Blancs du Sud que le combat des États confédérés était noble et que leurs ancêtres ont été des modèles de chevalerie dans la défense des droits des États et de leur culture.

Pour mémoire : selon les promoteurs de cette « Cause perdue », l’esclavage n’a été qu’un motif secondaire et non central de la guerre de Sécession. Or, le projet politique qu’ils ont conçu prônait encore et toujours la suprématie des Blancs sur les Noirs.

« La guerre n’a pas décidé de l’égalité des Noirs ; elle n’a pas décidé du vote des Noirs ; elle n’a pas décidé des droits des États », écrivait en 1866 le journaliste Edward Alfred Pollard dans son premier livre, The Lost Cause, qui allait inspirer les bâtisseurs de monuments confédérés, les membres du Ku Klux Klan et les politiciens ségrégationnistes.

Il est temps de mettre fin à la Cause perdue et d’épouser pleinement la cause juste.

Le maire noir de Richmond, Levar Stoney, jeudi dernier

« En Virginie, pendant plus de 400 ans, nous avons fixé des idéaux élevés de liberté et d’égalité, mais nous sommes restés en deçà de beaucoup d’entre eux », a renchéri le gouverneur blanc de Virginie, Ralph Northam.

Les enfants de Birmingham

Ce n’est pas la première fois que des images montrant l’injustice raciale choquent l’opinion américaine et l’obligent à regarder les chapitres les plus sombres de son histoire.

Pendant quelques jours, en mai 1963, les Américains ont regardé avec horreur à la télévision ou à la une des journaux les images d’enfants et d’adolescents noirs attaqués par des chiens féroces et des canons à eau, tactiques approuvées par Bull Connor, chef de la sécurité publique à Birmingham. Ces enfants manifestaient contre les lois ségrégationnistes de cette ville de l’Alabama considérée comme la plus raciste aux États-Unis.

De commenter le président de l’époque, John Kennedy : « Les événements de Birmingham […] ont amplifié des appels à l’égalité qu’aucune ville, aucun État, aucun Parlement ne peut choisir prudemment d’ignorer. »

Sans la bravoure des enfants de Birmingham, il n’est pas certain que le discours de Martin Luther King à Washington, quelques mois plus tard, aurait été entendu de la même façon.

« Il n’y aura ni repos ni tranquillité en Amérique jusqu’à ce qu’on ait accordé au peuple noir ses droits de citoyen », devait dire le pasteur d’Atlanta en rappelant que la vie des Noirs, un siècle après l’émancipation des esclaves, était « encore terriblement handicapée par les menottes de la ségrégation et les chaînes de la discrimination ».

Moins d’un an plus tard, Martin Luther King participait à la cérémonie de signature de la Loi sur les droits civiques, qui abolissait la ségrégation raciale et les pratiques discriminatoires. Une autre année plus tard, il était de retour au même endroit pour la promulgation de la Loi sur le droit de vote, qui interdisait notamment toute pratique électorale niant le droit de vote sur la base de la race.

Ces deux lois représentent les plus grands triomphes du mouvement des droits civiques. Elles illustrent aussi les limites de ce mouvement.

Un changement profond

Mais la vidéo de la mort de George Floyd pourrait avoir un effet semblable à celui de ces images de Birmingham et donner un second souffle au mouvement Black Lives Matter, héritier du mouvement des droits civiques. Depuis la diffusion de ses 8 minutes et 26 secondes, on assiste à ce qui apparaît comme un changement profond de l’opinion américaine sur la question raciale.

Ça se voit dans les manifestations organisées en réaction à la mort de George Floyd, qui attirent des gens de toutes les origines. Et ça se reflète dans les sondages.

76 %

Proportion d’Américains, dont 71 % de Blancs, qui estime que le racisme et la discrimination sont des problèmes majeurs aux États-Unis, selon un sondage de l’Université Monmouth publié la semaine dernière. C’est un bond de 26 points de pourcentage par rapport à 2015.

Dans le même sondage, 57 % des répondants estiment que la colère des manifestants est pleinement justifiée. Le même pourcentage d’Américains pensent que les policiers sont plus susceptibles de maltraiter les Noirs que les Blancs, selon une étude réalisée pour CBS News.

Face à cette situation fluide et imprévisible qui pourrait peser sur le scrutin de novembre, les candidats des deux grands partis ont adopté des positions diamétralement opposées. Donald Trump a emprunté des mots et des tactiques appartenant aux racistes des années 1960. Il a menacé d’abattre les pillards et d’utiliser des « chiens féroces » pour mater les manifestants. Il a également repris le discours de Richard Nixon sur l’« ordre public », tout en jonglant avec l’idée de déployer l’armée américaine dans les villes de son propre pays.

Joe Biden, lui, a décrit le racisme comme une « plaie béante » qui remonte au « péché originel » de son pays, l’esclavage, implanté en Virginie en 1619. Il a promis de s’attaquer à la brutalité policière et aux disparités économiques qui touchent les « communautés qui ont eu pendant longtemps un genou sur leur cou ».

Le pasteur noir Al Sharpton a repris cette image à son compte lors d’une cérémonie en hommage à George Floyd à Minneapolis.

PHOTO LUCAS JACKSON, REUTERS

Le pasteur noir Al Sharpton, lors d’une cérémonie en hommage à George Floyd à Minneapolis, le 4 juin

L’histoire de George Floyd a été celle du peuple noir, car depuis 401 ans, la raison pour laquelle nous ne pouvions être ce que nous voulions et rêvions est que vous avez maintenu votre genou sur notre cou.

 Le pasteur noir Al Sharpton, lors d’une cérémonie en hommage à George Floyd à Minneapolis

Le New-Yorkais a appelé les Américains à participer à une manifestation à Washington le 28 août, date du 57e anniversaire du discours de MLK. Un an plus tard, on verra quelles lois seront promulguées à la Maison-Blanche, et par quel président.