(New York) Le procès en destitution du président Donald Trump, le troisième de ce genre de l’histoire américaine, a débuté mardi par un débat acrimonieux qui n’a pas divisé seulement les sénateurs républicains et démocrates. Républicains modérés et conservateurs ont également étalé leurs différends, laissant présager une suite moins prévisible que ce à quoi l’on s’attendait. 

Les démocrates ont dénoncé le refus de la majorité républicaine d’accepter d’entrée de jeu deux de leurs demandes les plus pressantes : la présentation de nouveaux documents et la convocation de témoins importants. Ils ont multiplié en vain jusqu’à une heure avancée les amendements sur ces questions, perdant chacun des votes par 53 voix contre 47.

« Les faits vont finir par sortir », a déclaré le représentant Adam Schiff, procureur en chef au procès, en s’adressant aux 100 sénateurs qui devront rendre un verdict sur les deux articles de mise en accusation retenus contre Donald Trump : abus de pouvoir et entrave au travail du Congrès.

« Les documents que le président dissimule seront publiés grâce à la loi sur la liberté d’information ou d’autres moyens. Des témoins raconteront leur histoire dans des livres ou dans des films. La vérité éclatera. La question est : éclatera-t-elle à temps ? »

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Adam Schiff

Selon des règles présentées par les républicains, un vote sur les demandes des démocrates interviendra après la présentation des argumentaires des deux parties et les questions des sénateurs à celles-ci.

L’appui d’au moins quatre sénateurs républicains sera nécessaire pour que ces demandes deviennent réalité. Or, en fin d’après-midi, une élue de la majorité, Susan Collins (Maine), a annoncé qu’elle voterait « probablement » en faveur de la comparution de témoins, n’en déplaise à Donald Trump. Trois autres sénateurs républicains pourraient lui emboîter le pas : Mitt Romney (Utah), Lisa Murkowski (Alaska) et Lamar Alexander (Tennessee).

Les démocrates réclament la comparution de quatre témoins, dont l’ancien conseiller de la Maison-Blanche pour la sécurité nationale John Bolton et le directeur de cabinet de la Maison-Blanche par intérim Mick Mulvaney.

Changements de dernière heure

Susan Collins et une poignée d’autres sénateurs républicains ont par ailleurs créé la surprise en obtenant deux changements de dernière minute aux règles proposées par le chef de la majorité républicaine Mitch McConnell pour encadrer le procès du président. Selon un de ces changements, l’accusation et la défense auront chacune 24 heures, réparties sur trois jours, pour présenter leur argumentaire. À l’origine, les parties devaient disposer de seulement deux jours pour s’exécuter.

Quelques minutes avant l’annonce de ce changement inattendu, le chef de la minorité au Sénat Chuck Schumer avait accusé les républicains de vouloir comprimer la durée du procès afin que les audiences se prolongent « tard dans la nuit » quand les Américains dorment. Il avait qualifié la manœuvre de « honte nationale ».

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Chuck Schumer, chef de la minorité démocrate au Sénat

L’autre changement aura pour conséquence d’admettre d’emblée les preuves amassées par les démocrates de la Chambre des représentants lors de leur enquête en destitution. À l’origine, leur admissibilité devait faire l’objet d’un vote.

Ces changements ont été adoptés in extremis par le chef de la majorité au Sénat après des pressions exercées par Susan Collins et Rob Portman (Ohio), entre autres sénateurs républicains dits modérés. Ils constituent un rare recul de la part du sénateur McConnell, qui avait présenté la veille sa résolution controversée sur les règles devant guider le procès.

Une « parodie ridicule »

En s’adressant à leur tour aux sénateurs, les avocats de Donald Trump se sont vivement opposés aux demandes des démocrates concernant la présentation de nouveaux documents et la comparution de témoins. Ils ont affirmé que ces requêtes illustraient la faiblesse de la démarche de la partie adverse.

« Ils viennent ici et vous demandent de faire le travail qu’ils ont refusé de faire eux-mêmes », a déclaré le conseiller juridique de la Maison-Blanche Pat Cipollone, qualifiant le procès en destitution de « parodie ridicule ». « Ils ont retiré leurs assignations à comparaître. Ils ont éludé la question. »

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Pat Cipollone, conseiller juridique de la Maison-Blanche

L’avocat du président faisait référence au refus des démocrates de la Chambre de présenter des assignations à comparaître à certains membres de l’administration Trump, dont John Bolton. Les démocrates craignaient qu’une telle approche n’entraîne des recours juridiques interminables.

Lors du débat sur les règles du procès, les avocats du président ont moins cherché à défendre leur client contre les accusations qui pèsent sur lui qu’à critiquer la façon dont les démocrates ont géré la procédure de destitution.

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Jay Sekulow, l’un des avocats personnels de Donald Trump

Le président s’est vu refuser le droit de contre-interroger les témoins. Il s’est vu refuser le droit d’avoir accès à la preuve, le droit d’avoir un représentant lors des auditions.

Jay Sekulow, un des avocats personnels de Donald Trump

Tout comme Pat Cipollone, Jay Sekulow s’est fait reprocher par les démocrates et les médias ses propos erronés ou mensongers. Il a notamment ignoré le fait que Donald Trump a lui-même choisi de ne pas participer aux auditions de la Chambre.

Le 45e président est accusé d’avoir demandé à l’Ukraine d’annoncer des enquêtes sur des démocrates, dont Joe Biden, et d’avoir conditionné à cette annonce une aide militaire de 391 millions US et une invitation convoitée à la Maison-Blanche. Ses avocats affirment qu’il n’a jamais lié l’annonce des enquêtes à l’aide militaire ou à l’invitation à la Maison-Blanche.

Le président se voit également reprocher d’avoir refusé de collaborer à l’enquête du Congrès sur l’affaire ukrainienne.

Les procureurs démocrates entameront leur argumentaire mercredi à 13 h. Après les argumentaires des deux parties, les sénateurs pourront leur poser des questions pendant une période de 16 heures.