(New York) La manchette du site d’information Politico reflétait une opinion partagée par de nombreux analystes politiques américains : « Bernie Sanders est en difficulté. »

Elle coiffait un reportage décrivant une campagne en déclin et un candidat incapable de changer d’approche. C’était à la fin de septembre dernier, au moment où les sondages nationaux plaçaient le sénateur indépendant du Vermont au troisième rang parmi les candidats à l’investiture démocrate, derrière un Joe Biden résilient et une Elizabeth Warren en pleine ascension.

Et c’était tout juste avant que le politicien de 78 ans subisse une opération du cœur après un infarctus.

Or, trois mois après une brève pause-santé, force est de constater que cet infarctus, au lieu de couler la campagne chancelante de Bernie Sanders, l’a relancée. Le socialiste démocrate a d’abord reçu un puissant remontant sous la forme d’un appui de la représentante de New York Alexandria Ocasio-Cortez, figure de proue d’une gauche jeune, militante et décomplexée.

« Notre priorité n’est pas seulement de vaincre Donald Trump. C’est de défaire le système dont il est le symptôme », a déclaré l’élue de 30 ans, le 19 octobre dernier, devant une foule enthousiaste de 25 000 personnes réunies sous un soleil radieux dans un parc de Queens pour le « retour de Bernie ».

Et l’armée des petits donateurs de Sanders a choisi les semaines suivantes pour exprimer son soutien continu à la cause d’un politicien auquel certains d’entre eux vouent une sorte de culte. Résultat : le candidat en faveur d’un système de santé à payeur unique, de la gratuité des études supérieures et d’un plan vert radical a fracassé un record. Lors du dernier trimestre de 2019, il a récolté 34,7 millions de dollars, un sommet depuis le début de la course actuelle.

En bonne position

Il y a bien sûr des ombres au tableau. Le 30 décembre, des médecins ont publié des lettres affirmant que Bernie Sanders était en bonne santé et qu’il s’était bien remis de sa crise cardiaque. Le sénateur refuse cependant de rendre public son dossier médical complet, comme son ancien collègue du Sénat John McCain l’avait fait lors de sa campagne présidentielle de 2008. Si Hillary Clinton avait fait preuve d’un manque de transparence semblable après un infarctus, les médias ne parleraient probablement que de ça.

Autre problème : l’impopularité de certaines positions du candidat dans les États clés de l’élection de 2020. Pour les électeurs indécis (swing voters) du Michigan, du Minnesota, de la Pennsylvanie et du Wisconsin, un système de santé à payeur unique et la fin de la détention des migrants traversant la frontière sud illégalement tombent dans la catégorie des « mauvaises idées », selon une étude réalisée par la Kaiser Family Foundation l’an dernier.

N’empêche : Bernie Sanders se retrouve en bonne position à trois semaines exactement des caucus d’Iowa, première épreuve électorale de la course à l’investiture démocrate. Vendredi soir, il s’est ainsi retrouvé pour la première fois en tête d’un sondage CNN/Des Moines Register dans ce petit État rural du Midwest.

Crédité de 20 % d’appuis, il éclipse Elizabeth Warren (17 %), Pete Buttigieg (16 %) et Joe Biden (15 %), entre autres.

Son avance est mince, mais elle illustre la trajectoire ascendante de sa campagne : il a gagné cinq points de pourcentage depuis novembre en Iowa. Et cette remontée se confirme au New Hampshire, deuxième étape de la course démocrate, où il devance son plus proche rival, Joe Biden, par 2,7 points de pourcentage, selon la moyenne des sondages compilée par le site RealClearPolitics.

Cela étant, la situation demeure fluide en Iowa, où chacun des quatre principaux candidats a mené dans un sondage CNN/Des Moines Register depuis le début de la course. Et pas moins de 60 % des électeurs susceptibles de participer aux caucus ont indiqué qu’ils pourraient changer de poulain ou mettre fin à leur indécision d’ici le 3 février, date du scrutin.

Un problème familier

Reste que Bernie Sanders pourrait bien enlever les deux premières étapes de la course à l’investiture démocrate. Cela constituerait évidemment un atout majeur pour sa campagne et mettrait probablement fin aux chances d’au moins un de ses plus sérieux rivaux, Pete Buttigieg, ancien maire de South Bend.

Mais Bernie Sanders ferait par la suite face au même problème qui l’a coulé en 2016 : l’électorat noir. Les démocrates afro-américains auront l’occasion de faire sentir leur poids le 29 février, à l’occasion de la primaire de Caroline du Sud, quatrième étape de la course (après les caucus du Nevada).

Pour le moment, cet électorat préfère largement Joe Biden. L’ancien vice-président devance Bernie Sanders par 22 points de pourcentage en Caroline du Sud, selon un sondage Fox News publié la semaine dernière.

Et le problème du sénateur du Vermont ne se limite pas à un seul État. Dans l’ensemble des États-Unis, 48 % de l’électorat noir, crucial dans une course à l’investiture démocrate, a l’intention de voter pour Joe Biden contre 20 % pour Bernie Sanders, 9 % pour Elizabeth Warren et 2 % pour Pete Buttigieg, selon un sondage Washington Post/Ipsos publié samedi.

Parmi les facteurs de la popularité de Joe Biden auprès des Noirs : sa notoriété, son travail auprès de Barack Obama et son expérience.

Un répondant au sondage a résumé ainsi cet attrait : « Nous savons qu’il a été vice-président sous Obama. Nous savons qu’il est expérimenté. J’ai confiance en lui. Je le crois. Je pense qu’il est la seule personne parmi les démocrates qui puisse défaire Trump. »

Le grand défi de Bernie Sanders sera de convaincre ces électeurs qu’ils ont tort.