(Sterling) Une photo d’elle, devenue virale, en train de faire sur son vélo un doigt d’honneur au convoi automobile de Donald Trump lui avait valu de perdre son emploi à l’automne 2017. Deux ans après, Juli Briskman fait de la politique. Avec un peu plus de doigté.

La nuit commence à tomber sur le comté de Loudoun, en Virginie, et Kartar Khalsa n’a pas reconnu, dans la pénombre gagnant le perron de son pavillon, la blonde avenante venue lui distribuer des tracts pour les élections locales à venir, le 5 novembre.

« Oh, c’est elle qui a fait un doigt d’honneur au président ? », s’exclame ce professeur de yoga sous son turban, une fois la candidate partie frapper à la porte du voisin. « J’en ai entendu parler, oui. Elle avait perdu son travail […] C’est bien, j’aime cette énergie. Et il (Donald Trump) le mérite ».

Seule une petite broche en forme de vélo épinglée au-dessus de son cœur fait allusion à ce que Juli Briskman appelle avec pudeur « l’incident ».

À ce samedi d’octobre 2017, la quinquagénaire, sportive accomplie, a exprimé à sa manière tout le bien qu’elle pensait de Donald Trump, dont l’imposant cortège de VUS noirs la doublait à la sortie du club de golf voisin.  

Immortalisée par un photographe de l’AFP, la scène a été érigée en symbole. Le cliché a fait le tour du monde et la cycliste courroucée a perdu dans la foulée son poste d’analyste marketing dans une société sous-traitante du gouvernement et de l’armée des États-Unis.  

Un « mégaphone »

Diversement accueilli dans une Amérique divisée comme jamais, son geste d’humeur lui a valu insultes et menaces, et un procès pour licenciement abusif contre son ancien employeur, qu’elle accusait d’avoir violé sa liberté d’expression.

Il lui a aussi « ouvert beaucoup de portes », dit-elle depuis sa maison de Sterling, dans la grande banlieue de Washington, où elle conserve précautionneusement dans un classeur coupures de presse, caricatures et autres traces des apparitions télé qui ont suivi « l’incident ».

Mère célibataire de deux adolescents, elle a très vite retrouvé un emploi, parmi les nombreux qui se sont alors offerts à elle, avant qu’on ne lui propose de se porter candidate sur une liste démocrate pour un siège à l’assemblée de son comté.  

Elle n’a pas hésité longtemps. L’engagement politique a semblé une « évidence » à cette femme hyperactive et entière, très impliquée dans sa communauté.

« Je me suis sentie investie d’une responsabilité après avoir hérité d’un mégaphone », explique-t-elle. « Je ne peux pas me présenter contre Trump, mais je peux faire bouger les choses ici (localement) ».

La marathonienne de 52 ans souhaite montrer qu’il y a « du fond derrière » sa candidature – éducation, femmes, transports, environnement –, qu’elle n’est « pas seulement la personne qui a fait un jour un doigt d’honneur au président sur son vélo ».

Elle se tient donc sur le terrain à une stratégie bien établie : lorsqu’elle frappe aux portes des maisons cossues du comté de Loudoun, le plus riche des États-Unis, Juli Briskman n’évoque pas d’elle-même ce qui lui a offert son quart d’heure de célébrité.

Elle le fait uniquement si ses interlocuteurs « commencent à parler du gouvernement » ou remarquent la broche vélo placée en évidence sur sa poitrine.

PHOTO BRENDAN SMIALOWSKI, AFP

Juli Briskman

Encore des menaces

En cette venteuse soirée d’automne, au milieu des décorations d’Halloween, personne ne semble se souvenir spontanément du buzz d’il y a deux ans. Pour Mike Mullins, son directeur de campagne, la candidature de Juli Briskman n’est pourtant pas tout à fait comme les autres.

« Je n’ai jamais travaillé sur une campagne locale pour laquelle il était aussi facile d’attirer l’attention des médias », assure-t-il. « Nous avons des donateurs jusqu’au Texas ou au Tennessee, beaucoup de soutien de gens qui se reconnaissent en elle ».  

La cycliste au majeur levé confie aussi avoir encore reçu récemment sur son répondeur des messages menaçants de « lâches » anonymes. Mais une application l’aide, pour le porte-à-porte, à cibler les foyers plutôt susceptibles de voter démocrate et à éviter les mauvaises rencontres.

Une femme peu commode lui a dit une fois qu’elle ne voterait que pour un candidat soutenant ouvertement Donald Trump et lui a demandé si c’était son cas. « Pas vraiment », a répondu Juli Briskman dans un euphémisme, avant de s’éclipser poliment en prenant soin de ne pas trop montrer sa broche.