Les principaux producteurs et distributeurs d'opioïdes des États-Unis, qui se défendent d'avoir précipité par leurs actions une crise de santé publique catastrophique, ont quasiment « saturé » le pays de 2006 à 2012.

Des données commerciales inédites obtenues par le Washington Post indiquent que le volume de pilules distribuées est monté en flèche durant cette période alors même que les morts par surdose se multipliaient.

Le quotidien indique que 76 milliards de doses d'oxycodone et d'hydrocodone ont été vendues, ce qui représente en moyenne 36 pilules par Américain par année, femmes et enfants compris.

Les données, issues d'un fichier chapeauté par la Drug Enforcement Agency (DEA), témoignent par ailleurs d'importantes fluctuations régionales.

La Virginie-Occidentale, l'un des États américains les plus touchés par l'épidémie de surdoses qui frappe le pays, a reçu 66,5 pilules par personne par année, un sommet.

Dans certains comtés de cet État, la moyenne était de plus de 200 doses par personne par année, ce qui suggère un possible détournement des produits vers le marché noir.

Trois sociétés, note le Washington Post, ont distribué à elles seules près de la moitié des pilules recensées, soit McKesson, Walgreens et Cardinal Health. Le plus important manufacturier était la société Mallinckrodt, qui a vendu près de 30 milliards de doses durant la période considérée.

Le quotidien américain, de concert avec un groupe de presse de Virginie-Occidentale, a mené une bataille pendant près d'un an pour mettre la main sur les données.

Un juge de l'Ohio qui chapeaute une procédure réunissant plus de 1600 poursuites ciblant les entreprises mises en cause dans la crise des opioïdes a autorisé leur divulgation lundi sur ordre d'un tribunal de plus haute instance.

Les États, villes et comtés à l'origine de ces poursuites prétendent que les entreprises du secteur ont livré des volumes excessifs d'opioïdes dans le pays en omettant de signaler nombre de commandes suspectes à la DEA pour maximiser leurs profits.

Les firmes rejettent plutôt la responsabilité sur les médecins et les pharmaciens pour les excès survenus. Dans certains États, des établissements peu scrupuleux vendaient des médicaments en réponse à des ordonnances de complaisance, alimentant un véritable trafic.

À maints endroits, les contrôles additionnels qui ont fini par être mis en place pour compliquer l'accès aux médicaments ont poussé des toxicomanes à se tourner vers l'héroïne ou le fentanyl, un opioïde encore plus puissant, ce qui a entraîné une multiplication des surdoses.

Amendes

Bien qu'elles disent avoir toujours agi avec diligence, de nombreuses entreprises ont payé des amendes à la DEA par le passé.

À la suite d'irrégularités, McKesson a notamment accepté il y a quelques années de payer 150 millions de dollars américains et de suspendre la livraison de produits contrôlés à partir de centres de distribution répartis dans quatre États.

La société a réglé par ailleurs il y a quelques mois une poursuite intentée par la Virginie-Occidentale qui prévoit le versement d'une indemnisation de 37 millions US. Une demi-douzaine d'autres firmes avaient déjà opté pour la même approche, versant une somme totale de 63 millions US à l'État.

Cardinal Health a accepté de payer une amende de 34 millions US dans un dossier similaire. La DEA avait notamment déterminé qu'une pharmacie avait reçu 2,2 millions de doses d'opioïdes de la société en quatre ans.

Bien que ce type de cas demeure rare pour l'instant, quelques administrateurs de sociétés mises en cause dans la crise des opioïdes doivent faire face à des accusations de nature criminelle.

C'est le cas notamment de Laurence Doud, ex-dirigeant de Rochester Drug Cooperative, qui est accusé de trafic de drogue. La firme avait accepté pendant plusieurs années de fournir en opioïdes des pharmacies jugées trop suspectes par d'autres distributeurs. M. Doud risque plus de 10 ans d'emprisonnement.