La cour d’appel fédérale américaine a tranché hier : Donald Trump ne pourra plus refuser l’accès à son compte Twitter aux gens qu’il n’aime pas. La décision pourrait avoir des échos au Canada, où certains politiciens ferment aussi leur compte Twitter à leurs détracteurs.

« Il n’y a pas encore de jugement comme celui-là au Canada, mais je pense que ça ne saurait tarder », explique Paul Champ, avocat spécialisé en droits de la personne.

En 2018, il avait intenté une action en justice contre le maire d’Ottawa, Jim Watson, pour avoir bloqué trois citoyens sur Twitter. Cette démarche était une première au pays.

« Nous avons intenté une poursuite qui ressemble beaucoup à celle qui implique Donald Trump », dit Me Champ.

Le maire d’Ottawa avait fini par s’excuser et par redonner l’accès aux utilisateurs bloqués. Les poursuites sont tombées à ce moment.

Paul Champ croit qu’il est « profondément antidémocratique » pour un politicien de refuser l’accès à son compte Twitter aux personnes qui sont en désaccord avec lui. « Ce serait comme si un gouvernement essayait de vous empêcher de parler dans un parc public », explique-t-il.

Défendre la liberté d’expression

Les juges américains ont rappelé dans leur décision l’importance de la liberté d’expression, défendue par le premier amendement de la Constitution des États-Unis. « Nous considérons […] qu’une fois que le président a choisi une plateforme et a ouvert cet espace interactif à des millions d’utilisateurs et de participants, il ne peut exclure spécifiquement ceux avec qui il n’est pas d’accord », ont écrit les magistrats dans leur décision de 28 pages.

Ce raisonnement est aussi applicable sur le territoire canadien en vertu de la Charte des droits et liberté, selon Me Champ.

« Bloquer certaines personnes sur Twitter cause un important tort à la liberté d’expression, affirme Louis-Philippe Lampron, professeur de droit à l’Université Laval. On peut même parler de discrimination fondée sur les opinions politiques. »

Les critères à prendre en compte dans ce genre de causes sont presque les mêmes au Canada qu’aux États-Unis. 

Il faut que l’élu fasse partie du gouvernement. Il serait plus compliqué d’intenter des poursuites judiciaires contre un député de l’opposition.

L’avocat Paul Champ, à propos des conditions à remplir pour qu’une poursuite similaire puisse être intentée au Canada

Il faut aussi que l’élu utilise le compte Twitter à des fins politiques. Dans le cas de Donald Trump, les juges ont affirmé que « les preuves de la nature officielle du compte sont accablantes ».

Toutefois, il y a certaines raisons qui justifient de bloquer une personne. « Le harcèlement, la violence ou les menaces, par exemple », note M. Lampron.

Legault bloquait certaines personnes

L’été dernier, alors qu’il n’était encore que chef de la Coalition avenir Québec, François Legault avait été accusé de bloquer certains journalistes et chroniqueurs sur Twitter. Après avoir essuyé des critiques, M. Legault avait finalement redonné l’accès aux personnes visées.

Il faut saluer cette décision. Mais si François Legault n’avait pas redonné l’accès, ce qu’on vient de voir avec Trump aurait pu lui arriver.

Louis-Philippe Lampron, professeur de droit à l’Université Laval

Le professeur de droit croit que les politiciens doivent être conscients de leurs agissements sur Twitter. « Les réseaux sociaux ne peuvent pas simplement être des outils de mise en marché, les élus doivent respecter les droits et libertés. »

Comme dans le cas de caricatures et de lettres d’opinion, les politiciens devront apprendre à « avoir la peau épaisse », selon Louis-Philippe Lampron.

— Avec l’Agence France-Presse