(Washington) La Cour suprême a bloqué jeudi l’ajout d’une question sur la nationalité dans le prochain recensement de la population des États-Unis, en jugeant «artificielles» les justifications fournies par le gouvernement de Donald Trump.

Dans une décision distincte, tout aussi lourde de conséquences pour le paysage politique américain, elle a refusé de fixer des limites à l’art du découpage électoral à des fins partisanes.

C’est «totalement ridicule» que «notre pays ne puisse pas poser une question basique sur la citoyenneté dans un recensement très cher, détaillé et important», a réagi le président républicain.  

«Ça n’arrive qu’en Amérique», a-t-il tweeté, en évoquant la possibilité de reporter le recensement de 2020, le temps de fournir de nouveaux arguments à la Cour.

Les enjeux sont énormes: le recensement, qui doit se tenir tous les dix ans selon la Constitution, conditionne l’octroi de 675 milliards de dollars de subventions fédérales et le nombre de sièges alloués à chaque État à la Chambre des représentants.

En charge de son organisation, le secrétaire au Commerce Wilbur Ross avait annoncé en mars 2018 qu’il allait réintroduire une question sur la nationalité, abandonnée il y a plus de soixante ans, assurant en avoir besoin pour mieux faire respecter les lois électorales.

Sa décision avait immédiatement provoqué un tollé chez les démocrates et les défenseurs des droits civiques, qui avaient saisi la justice et obtenu gain de cause.  

Selon eux, le gouvernement souhaitait en fait minimiser la population d’origine immigrée, plus susceptible de voter démocrate.

L’ajout d’une question sur la nationalité aurait en effet poussé entre 1,6 et 6,5 millions d’immigrés à s’abstenir de participer ou à mentir sur le questionnaire, par peur d’être fichés, selon les experts du bureau du recensement.

Calendrier serré

Sans se prononcer sur le bien-fondé de la question, la Cour suprême a estimé que les justifications de Wilbur Ross étaient «artificielles». «On nous a présenté une explication qui n’est pas cohérente avec ce que les archives révèlent du processus de décision et des priorités de l’administration», écrit-elle à une courte majorité de cinq juges sur neuf.

Elle laisse toutefois la porte ouverte pour que le gouvernement Trump fournisse des explications plus convaincantes. Mais le calendrier est serré : les formulaires du recensement 2020 doivent être imprimés cet été.

La puissante organisation de défense des droits civiques ACLU a immédiatement salué «une victoire pour les immigrés et les communautés de couleur en Amérique».

En revanche, elle a déploré que la haute cour ait refusé de corriger un dysfonctionnement majeur de la démocratie américaine: l’art du découpage électoral en faveur du parti au pouvoir.

Le temple du droit américain était appelé à se prononcer sur deux cartes électorales, l’une en Caroline du Nord jugée trop favorable aux républicains, l’autre dans le Maryland, qui avantageait les démocrates.

Les cinq juges conservateurs ont estimé qu’il n’était pas du ressort des tribunaux de s’immiscer dans cette question politique.  Il n’existe pas de «critères clairs, précis et neutres politiquement» pour le faire, ont-ils justifié.

«Péril»

«La majorité fait une erreur tragique», ont critiqué leurs quatre collègues progressistes, en regrettant que la Cour abdique ses responsabilités face à un problème qui «met en péril notre système de gouvernement».

Aux États-Unis, les cartes électorales sont redessinées dans chaque État après chaque recensement. Le parti au pouvoir en profite souvent pour regrouper les électeurs du camp opposé dans certaines circonscriptions, afin de faire baisser leur influence ailleurs.  

La pratique profite surtout aux républicains, qui contrôlent davantage d’assemblées locales.

Les démocrates ont déploré une décision «qui permet aux hommes politiques de continuer à choisir leurs électeurs et non aux électeurs de choisir leurs hommes politiques».

La technique est appelée «gerrymandering», en référence à un gouverneur du XIXe siècle, Elbridge Gerry, qui avait remanié une circonscription de son État au point de lui donner la forme d’une salamandre («salamander» en anglais).

Elle est facilitée par le fait que, dans la plupart des États, les électeurs sont invités à se déclarer comme «démocrate», «républicain» ou «indépendant» lors de l’inscription sur les listes électorales, ce qui leur permet ensuite de participer aux primaires de leur parti.