Je pourrais faire une 173e chronique pour énumérer d’autres juteuses « trumperies » racontées dans le rapport Mueller. (Je prédis d’ailleurs ne pas pouvoir y résister longtemps.)

Aujourd’hui, j’ai plutôt le goût de montrer l’autre versant de cette administration. Ce que Bob Woodward a appelé la « résistance ». Et qui est en fait l’ensemble des gens décents qui font fonctionner le gouvernement américain en disant non à Trump ou en ne lui obéissant pas.

La vraie, la profonde différence entre une démocratie et un régime autoritaire n’est pas dans les textes constitutionnels. Ni dans la présence théorique des contre-pouvoirs. Elle est dans la moralité des gens qui font fonctionner le gouvernement.

Or, la liste est longue de ceux qui ont refusé de mentir pour Donald Trump. De bons républicains, bien partisans. Des gens qui ont voté pour lui, des gens qu’il a choisis, des gens tout, tout près de lui. Mais des gens qui ont simplement résisté.

Faisons une courte liste…

Il y a d’abord Jeff Sessions. Un ultraconservateur, partisan de la première heure de Trump, ex-procureur en Alabama, refusé à la magistrature pour cause de racisme présumé…

Trump pensait avoir un fidèle au poste de procureur général. Il en avait un, en effet, mais quoi qu’on pense de Sessions, il avait aussi prêté serment de défendre la légalité et la constitution. Dès qu’il a été question d’une enquête sur l’influence de la Russie sur les élections de 2016, il s’est récusé. Ça veut dire qu’il ne contrôlait plus le jeu. C’est le sous-procureur général qui allait décider de nommer un procureur indépendant pour enquêter là-dessus : le très respecté Robert Mueller.

Le rapport fait état de conversations privées entre Trump et Sessions, dans lesquelles il lui reproche de l’avoir abandonné. D’ailleurs, Trump a publiquement dénoncé Sessions pour ça.

Et Sessions de répondre : c’est la loi, mon vieux, je n’avais pas le choix, j’étais en conflit d’intérêts, ayant été membre de la campagne.

Pendant tous les mois qui suivent, Trump tente de convaincre Sessions de se « dé-récuser ». Sans succès.

Par la suite, Trump tente de dégommer le procureur Mueller en prétendant qu’il est en conflit d’intérêts. Ses conseillers et avocats lui disent unanimement : non, Monsieur le Président, votre théorie ne tient pas la route, ce n’est pas un conflit d’intérêts, on ne touche pas à ça.

Trump fulmine. Il appelle Donald McGahn, un avocat de la Maison-Blanche, à son domicile. Trump demande à McGahn d’appeler le sous-procureur général pour se plaindre du conflit d’intérêts. McGahn ne veut rien savoir. Ce n’est pas la première fois que Trump s’essaie. McGahn en a marre, il rentre à son bureau de la Maison-Blanche et commence à prendre ses choses pour démissionner. Ses supérieurs le calment, lui disent de ne pas faire ça, de simplement ignorer la demande du président…

Ces évènements surviennent à l’été 2017. En janvier 2018, des médias rapportent que McGahn voulait démissionner à cause des pressions de Trump. Celui-ci le fait venir à son bureau et lui demande de déclarer publiquement qu’il n’a jamais eu l’intention de démissionner.

Que fait McGahn ? Il répond : pas question, les reportages sont tout à fait exacts, je n’ai pas l’intention de les démentir.

***

Trump a demandé aux directeurs de la CIA et de la NSA de démentir publiquement les liens de Trump avec un quelconque effort russe d’interférence dans les élections. Les patrons de ces agences de renseignement n’ont pas obtempéré.

Il a tenté la même chose avec James Comey, directeur du FBI, pour « dissiper le nuage de l’enquête russe ». Ça n’a tellement pas fonctionné qu’il l’a congédié. La Maison-Blanche a d’abord prétendu que c’était sur recommandation du département de la Justice que Comey avait été congédié. Trump lui-même a déclaré publiquement que c’était sa décision. Il en a même parlé à des responsables russes, disant que son départ enlevait beaucoup de pression sur lui.

***

Au bout de plusieurs mois, Trump est de plus en plus isolé. Personne, enfin personne ayant la moindre autorité morale ne vient à sa défense publiquement. En désespoir de cause, il fait venir à son bureau son ancien directeur de campagne, Corey Lewandowski. Il lui dicte un message que Sessions devrait lire publiquement. Essentiellement pour dire que « l’enquête est très injuste ». Il demandait aussi que l’enquête soit limitée à de futures interférences et non pas à sa campagne. Un mois plus tard, Lewandowski n’a toujours rien fait. Trump lui demande des nouvelles.

Ah, oui, oui, Monsieur le Président, je vais lui livrer le message bientôt…

C’est à ce moment que Trump commence à attaquer Sessions sur Twitter, annonçant son éventuel congédiement.

Lewandowski se débarrasse de la patate chaude en refilant la sale tâche à un subalterne : va porter ça à Sessions ! Mais ce dernier, Rick Deardorne, tout aussi mal à l’aise, décide de ne rien faire lui non plus.

***

On pourrait poursuivre l’énumération encore longtemps.

Mais remarquez juste ici la somme de ceux qui refusent d’obtempérer aux ordres de leur président. Encore une fois, des gens qui ont été sélectionnés pour le servir, y compris du personnel politique.

Rien d’héroïque là-dedans, me direz-vous. Et pourtant, imaginez la pression sur ces gens qui reçoivent un ordre direct du président des États-Unis. Il leur aurait été facile de céder. Après tout, les ordres sont les ordres… Et si l’enquête fait tomber le président, les démocrates vont triompher, non ?

Ils ont dit non. Ils ont esquivé. L’enquête a eu lieu, elle a connu son aboutissement. L’essentiel de son contenu est maintenant public. Le président, s’il n’y a pas de quoi le faire accuser, y paraît très mal.

Bref, quoi qu’on puisse dire de terrible sur l’état de la démocratie américaine, il faut noter que, pour ces représentants de certaines des institutions au cœur du pouvoir américain, la fin ne justifie pas tous les moyens. Personne n’est au-dessus des lois : ce n’est pas une formule creuse, c’est une évidence très vivante.

La loyauté de ces gens-là va d’abord à la constitution, au principe de la légalité, plus qu’à aucun individu, fut-il le plus puissant au monde.

Trump n’aura pas tout détruit…