(Washington) «Énorme erreur», «désastre» : en décidant abruptement de laisser le champ libre à la Turquie dans le nord de la Syrie, Donald Trump a suscité de vives réactions au sein même du parti républicain.

Cette spectaculaire annonce du milliardaire, qui renforce l’image d’un président isolé au sein de son propre camp, intervient au moment où il a un besoin crucial de ses alliés politiques pour contrer la procédure de destitution qui le menace.

Si M. Trump a toujours fustigé les guerres «sans fin», le retrait de troupes américaines de secteurs proches de la frontière turque, dans le nord de la Syrie, place les forces kurdes — alliées de Washington dans la lutte antidjihadiste — à la merci d’une offensive militaire d’Ankara.

La décision, annoncée dimanche soir, tard, dans un communiqué de deux paragraphes de la Maison-Blanche, a suscité la stupeur. Et le silence initial du département d’État et du Pentagone n’ont fait que renforcer le sentiment d’un virage stratégique de taille pris sans consultation.

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Le secrétaire d'État, Mike Pompeo.

En janvier, le chef de la diplomatie Mike Pompeo assurait que les États-Unis entendaient s’assurer que «les Turcs ne massacrent pas les Kurdes». Quelques mois plus tard, il mettait en garde Ankara contre les conséquences «dévastatrices» d’une intervention en Syrie.

Lundi matin, les réactions de la plupart des ténors du parti républicain ont été cinglantes.

Pour le sénateur Lindsey Graham, proche du président avec lequel il joue régulièrement au golf, cette décision est «un désastre en puissance» et «l’abandon des Kurdes sera une tache sur l’honneur de l’Amérique».

Et l’influent sénateur conservateur de Caroline du Sud de menacer de proposer une résolution au Sénat pour revenir sur cette décision. Et, pour mieux souligner l’isolement du président, il précise s’attendre à un fort soutien des élus des deux bords sur ce dossier emblématique.

Autre grand soutien habituel du président au Congrès, Liz Cheney, numéro trois des républicains à la Chambre des représentants, s’est indignée d’une décision «qui ignore les leçons du 11-Septembre».  

«Retirer les forces américaines du nord de la Syrie est une erreur catastrophique qui met en péril nos avancées contre l’EI et menace la sécurité américaine», a-t-elle tonné sur Twitter.  

Le sénateur de Floride Marco Rubio a lui parlé d’une «grave erreur qui aura des implications bien au-delà de la Syrie».

«Toujours soutenir nos alliés»

Nikki Haley, ancienne ambassadrice des États-Unis à l’ONU et figure montante du parti républicain, a jugé utile de rappeler au 45e président des États-Unis un principe simple des relations internationales : «Nous devons toujours soutenir nos alliés si nous attendons d’eux qu’ils nous soutiennent».

«Les Kurdes ont un rôle crucial dans notre combat couronné de succès contre le [groupe armé État islamique] (EI) en Syrie. Les laisser mourir est une énorme erreur», a-t-elle ajouté.

Le chef de file des républicains au Sénat américain, Mitch McConnell, a lui averti qu’un retrait précipité de Syrie ne « pourrait que profiter » à la Russie, à l’Iran et au régime de Bachar al-Assad.

Preuve du malaise suscité par cette annonce, l’administration Trump s’employait à en limiter la portée lundi en milieu de journée. La décision présidentielle revient à «retirer quelques soldats déployés à la frontière, un tout petit nombre, sur une toute petite distance», a affirmé un responsable américain sous couvert d’anonymat.

M. Trump lui-même a montré qu’il était sensible aux critiques en promettant, dans de nouveaux tweets, dans lesquels il évoque sa «grande sagesse inégalée», d’«anéantir» l’économie turque si Ankara allait selon lui trop loin en Syrie.

Lorsqu’il avait annoncé, fin 2019, le départ le plus rapide possible des quelque 2000 soldats américains stationnés en Syrie (un départ qui a depuis été largement remis en cause), le général Jim Mattis, chef du Pentagone, avait décidé de claquer la porte.

«Comme vous, j’ai dit depuis le début que les forces armées des États-Unis n’avaient pas pour vocation à être la police du monde», avait-il expliqué dans une lettre de démission ciselée. Mais «il faut traiter les alliés avec respect», ajoutait-il.

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Donald Trump et Jim Mattis.

Après le communiqué de la Maison-Blanche, et les tweets du président américain, martelant sa volonté de «sortir de ces guerres ridicules et sans fin, dont beaucoup sont tribales», la réaction la plus tranchante est probablement venue de celui qui fut l’un des acteurs centraux — sous Barack Obama puis Donald Trump — de la lutte contre l’EI.

Brett McGurk, qui a démissionné en décembre de son poste d’émissaire chargé de la lutte contre le groupe djihadiste, a résumé son analyse en quelques tweets.

«Donald Trump n’est pas un Commandant en chef. Il prend des décisions impulsives, sans connaissances ni délibérations. […] Le communiqué de la Maison-Blanche démontre une absence totale de compréhension de ce qui se passe sur le terrain».

Sa conclusion? «Après un échange téléphonique avec un dirigeant étranger, Trump a fait un énorme cadeau à la Russie, à l’Iran et au groupe État islamique».

«Trahison ignoble»

Chez les démocrates aussi, les critiques fusaient.  

L’ancienne secrétaire d’État Hillary Clinton a accusé Donald Trump de s’être «allié avec les dirigeants des régimes autoritaires turcs et russes aux dépens de nos alliés loyaux et des intérêts américains».  

«Sa décision est une trahison ignoble aussi bien des Kurdes que de son serment présidentiel», s’est-elle indignée sur Twitter.  

Le candidat à la primaire démocrate Bernie Sanders a souligné qu’il prônait depuis longtemps la fin de l’«intervention militaire» américaine au Proche-Orient. «Mais l’annonce soudaine de Donald Trump […] est extrêmement irresponsable», a-t-il tweeté. «Elle mènera probablement à plus de souffrances et d’instabilité».  

Plus tôt dans la matinée, Donald Trump a expliqué qu’il voulait laisser aux différents protagonistes du conflit syrien le soin de «résoudre la situation» eux-mêmes. Lundi, les troupes américaines déployées dans le nord de la Syrie ont débuté leur retrait de secteurs proches de la frontière turque.