Après avoir soudainement mis le holà, dimanche, aux pourparlers de paix menés depuis un an par son administration avec les talibans, le président américain Donald Trump a annoncé hier le départ de son conseiller à la Sécurité nationale, John Bolton.

Les deux hommes s’étaient apparemment disputés au cours des derniers jours relativement à l’idée du chef d’État de convier à Camp David les belligérants du conflit afghan pour annoncer une entente devant mener à l’ouverture de négociations directes entre les deux camps.

Bien que les collaborateurs de Donald Trump aient martelé hier que les deux hommes avaient eu des divergences sur de nombreux dossiers, les spéculations allaient bon train sur l’incidence de leur plus récent accrochage.

« Il est raisonnable de penser » que le départ de John Bolton est lié à l’épisode de Camp David, a indiqué Graeme Smith, spécialiste de l’Afghanistan rattaché à l’International Crisis Group (ICG).

L’ex-journaliste y voit même le signe que la « diplomatie n’est pas morte » dans le dossier afghan, puisque le conseiller américain, un tenant de la ligne dure, s’opposait à la tenue de négociations avec les talibans.

Confiance

Sa mise à l’écart pourrait signifier qu’il faut relativiser les interventions de Donald Trump voulant que les pourparlers de paix soient définitivement terminés.

Le président américain peut se montrer catégorique dans l’espace public et plus flexible dans le privé.

Graeme Smith, spécialiste de l’Afghanistan rattaché à l’International Crisis Group

Vanda Felbab-Brown, une analyste de la Brookings Institution, pense que l’administration américaine aura fort à faire pour rétablir la confiance et relancer les pourparlers après l’épisode de Camp David.

L’envoyé spécial du président en Afghanistan, Zalmay Khalilzad, négociait depuis près d’un an avec les talibans et venait d’annoncer la conclusion d’une entente de principe lorsque Donald Trump a mis de l’avant l’idée d’un sommet sur le sol américain, note l’analyste.

L’entente en question prévoyait que les talibans acceptent d’ouvrir des négociations avec le gouvernement afghan, réduisent les attaques dans le pays et évitent de permettre que leur territoire serve de sanctuaire à des groupes terroristes comme Al-Qaïda.

Les États-Unis s’engageaient parallèlement à retirer progressivement les troupes demeurant en Afghanistan, en commençant par un contingent de 5000 hommes sur une période de six mois.

Les talibans ont rejeté l’idée de se rendre aux États-Unis avant que l’annonce ne soit formalisée, suscitant la colère du président, qui a évoqué la mort d’un soldat américain dans une attaque à Kaboul pour justifier la fin des pourparlers.

« Il a agi pour satisfaire son ego. Tout à coup, il s’est dit qu’il pourrait prendre tout le crédit de ce qui se passait » avec un sommet symbolique à Camp David, souligne Mme Felbab-Brown, qui s’inquiète pour la suite des choses en Afghanistan.

Retrait des troupes ?

Des membres du gouvernement afghan, qui s’opposaient à l’entente discutée entre les talibans et les États-Unis, se sont réjouis de son abandon.

Ils pensent que ça signifie que les troupes américaines vont rester pour se battre pour des années encore, mais ils se trompent, parce que le président n’est pas déterminé à mener cette guerre.

Vanda Felbab-Brown, analyste à la Brookings Institution

Elle n’écarte pas la possibilité de voir l’administration procéder au retrait de troupes restantes sans garantie de sécurité pour la population afghane avant la tenue des prochaines élections américaines.

Graeme Smith note que le gouvernement afghan perd chaque jour du terrain face aux talibans et n’aura guère le choix de chercher une solution négociée à la crise. « L’accord qu’ils peuvent négocier aujourd’hui est meilleur que celui qu’ils pourront conclure demain », dit-il.

L’analyste pense par ailleurs que les talibans ont réagi avec une relative réserve à la « claque diplomatique » découlant de l’intervention de Donald Trump, ce qui laisse croire qu’ils demeurent intéressés par les négociations malgré les tribulations des derniers jours.

ICG indique que des négociateurs des talibans et du gouvernement afghan continuent de se préparer à des pourparlers directs dans l’hypothèse où les États-Unis décideraient de « revenir à la table ».

« La crédibilité de l’engagement américain de négocier a été abîmée, mais elle n’est pas détruite, puisque toutes les factions comprennent que Washington va chercher une solution politique à un certain point », relève l’organisation.