(NEW YORK ) Les touristes d’un certain genre ne prennent plus la pose à l’entrée de la résidence new-yorkaise de feu Jeffrey Epstein, située à un jet de pierre de Central Park, dans le quartier Upper East Side de Manhattan.

Dans les jours qui ont suivi l’arrestation du financier déchu pour trafic sexuel, ils se croquaient l’autoportrait aux côtés de ses initiales mises en évidence en lettres dorées dans l’encadrement d’une imposante double porte. Depuis sa mort, ils se font plus rares et discrets.

Or, à la gauche de l’entrée principale de l’immeuble de sept étages et de 40 pièces – il s’agit d’une des plus grandes résidences privées de New York –, se trouve une porte beaucoup plus modeste sur laquelle une plaque lance cet avertissement : « Surveillance vidéo 24 heures ». Impossible de ne pas se demander combien de pièces du manoir sont (étaient) équipées du même système.

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Des touristes prenant la pause devant la luxueuse résidence de Jeffrey Epstien mardi dernier. 

L’autopsie de Jeffrey Epstein a vraisemblablement mis un terme aux théories du complot sur les causes de sa mort. Accusé d’exploitation sexuelle de mineures de 2002 à 2005, le multimillionnaire de 66 ans s’est suicidé par pendaison dans sa cellule, selon Barbara Sampson, médecin légiste en chef de New York.

En rendant ce verdict, cependant, la Dre Sampson n’a levé qu’un seul des nombreux mystères qui entourent Jeffrey Epstein. Certains d’entre eux ne seront probablement jamais élucidés. Mais les enquêtes de la justice américaine sur les complices présumés du délinquant sexuel et les poursuites civiles de ses victimes présumées contre sa succession pourraient permettre d’en résoudre certains.

L’origine d’une fortune

L’un des mystères les plus confondants concerne l’origine de la fortune de Jeffrey Epstein. Au moment de sa mort, celle-ci était estimée à plus de 500 millions de dollars. Au nombre de ses propriétés figuraient non seulement son manoir de Manhattan évalué à 77 millions de dollars, mais également une île dans les Caraïbes, un avion surnommé le « Lolita Express » et des résidences en Floride, au Nouveau-Mexique et à Paris.

Les médias ont longtemps décrit Epstein comme le patron d’un fonds spéculatif appelé Financial Trust Company. Mais on ne lui connaissait qu’un client – Leslie Wexner, fondateur milliardaire d’un empire commercial incluant Victoria’s Secrets, Bath & Body Works et Henri Bendel, entre autres.

En juillet dernier, le magazine New York a présenté plusieurs théories pour expliquer les sources de la fortune d’Epstein, y compris le chantage. Selon cette théorie, le financier aurait accumulé des photos ou vidéos montrant ses riches et puissants amis en train d’avoir des rapports sexuels avec des mineures afin de pouvoir les forcer à investir de l’argent avec lui.

Une seule chose est certaine : le 7 août dernier, Leslie Wexner a écrit une lettre aux membres de sa fondation affirmant que Jeffrey Epstein avait détourné plus de 46 millions de dollars de sa fortune personnelle. « Je suis gêné de constater que, comme tant d’autres, M. Epstein m’a trompé », a-t-il écrit au sujet de celui qui lui a servi de conseiller financier de 1991 à 2007.

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Leslie Wexner et sa femme Abigail

Wexner n’a pas expliqué pourquoi il a attendu 12 années après sa rupture avec Epstein pour le dénoncer.

Les amis du financier

Après les origines de sa fortune, les amitiés de Jeffrey Epstein sont celles qui soulèvent le plus de questions, et notamment celles qui l’ont lié à Bill Clinton et à Donald Trump. La veille du suicide du délinquant sexuel, une cour fédérale a publié quelque 2000 pages de documents qui jettent un éclairage inédit sur ces relations.

Les documents proviennent d’une poursuite intentée par Virginia Giuffre, victime présumée de Jeffrey Epstein, contre Ghislaine Maxwell, soupçonnée d’avoir joué le rôle de maquerelle auprès du financier. Dans des dépositions remontant à 2016, Giuffre a affirmé qu’elle avait été employée par Maxwell pour avoir des rapports sexuels avec plusieurs amis puissants d’Epstein, dont l’ancien sénateur démocrate du Maine George Mitchell, l’ancien gouverneur du Nouveau-Mexique Bill Richardson, le scientifique Marvin Minsky, le patron des hôtels Hyatt Tom Pritzker, le gestionnaire de fonds spéculatifs Glenn Dubin et le patron de l’agence de mannequins MC2 Jean-Luc Brunel.

À l’exception de Minsky, qui est mort, ces hommes ont tous nié les allégations de Giuffre, tout comme l’avaient fait le prince Andrew et l’avocat et professeur de droit Alan Dershowitz lorsqu’ils avaient été mis en cause par cette femme aujourd’hui âgée de 36 ans.

Dans une de ses dépositions, Giuffre a affirmé qu’aucune des filles sur lesquelles Epstein exerçait un contrôle n’avait été forcée d’avoir des contacts intimes avec Bill Clinton ou Donald Trump. Elle a cependant soutenu qu’Epstein avait organisé un dîner pour l’ex président dans son île, allégation niée par Maxwell.

La protection des complices

Ghislaine Maxwell, aujourd’hui âgée de 57 ans, constitue elle-même un mystère. Fille de l’ancien magnat de la presse britannique Robert Maxwell, elle est accusée d’avoir recruté plusieurs victimes présumées de Jeffrey Epstein, dont trois ont intenté des poursuites civiles contre elle et la succession du financier. Jusqu’à présent, elle n’a cependant jamais été inquiétée par la justice pénale.

Fait remarquable : lorsque les avocats d’Epstein ont négocié en 2008 avec le procureur fédéral de Miami une entente secrète permettant à leur client d’échapper à un procès fédéral pour trafic sexuel, ils ont également obtenu l’immunité pour ses complices présumés en Floride. Du jamais-vu, selon plusieurs experts.

Coïncidence macabre : le père de Ghislaine Maxwell s’est suicidé après l’écroulement de son empire.

L’ombre du renseignement

Le 12 juillet dernier, Alexander Acosta, ex-procureur fédéral de Miami, a démissionné de son poste de secrétaire au Travail à cause de la controverse soulevée par l’entente secrète de 2008. Avant sa nomination au sein de l’administration Trump, la Maison-Blanche lui avait demandé d’expliquer ce qui semblait être un traitement de faveur accordé à Jeffrey Epstein.

« On m’a dit qu’Epstein “appartenait au renseignement” et de ne pas y toucher », a-t-il répondu, selon un ancien responsable de la Maison-Blanche qui s’est confié à la journaliste d’enquête Vicky Ward.

Lors d’une conférence de presse tenue avant sa démission, Acosta n’a pas nié directement avoir fait cette déclaration qui s’ajoute aux mystères entourant Jeffrey Epstein.