C’est l’histoire d’un justicier musclé qui promet de faire « le travail que la police ne veut pas faire ». Un superhéros sorti de l’imagination d’un créateur proche de l’alt-right, exaspéré de voir ces dernières années évoluer en genre et en diversité ethnique les personnages de Marvel ou de DC Comics…

L’univers de la bande dessinée n’échappe pas aux guerres idéologiques qui secouent la société américaine. 

Les efforts des grands éditeurs du secteur, Marvel et DC Comics, pour diversifier le profil ethnique et le genre de leurs personnages de superhéros sont mal reçus par l’alt-right.

Un éditeur et blogueur proche de cette mouvance idéologique, Theodore Beale, a lancé l’année dernière en guise de réponse une nouvelle série, baptisée Alt Hero, qui est vendue en ligne par l’entremise du géant Amazon.

L’un des premiers numéros de la série montre d’entrée de jeu un « migrant illégal » menaçant qui cherche à s’en prendre à une fillette blanche. Après l’avoir mis K.-O., un mystérieux « justicier » le dépose devant les locaux du service de contrôle et d’immigration des douanes américaines (ICE).

Le texte accompagnateur s’interroge sur l’identité de l’individu en relevant qu’il cherche à faire « le travail que la police ne veut pas faire ».

Dans une scène subséquente, on le voit en train de régler le cas de six militants « antifa » – antifascistes – menaçants qui veulent s’en prendre à lui.

L’homme en question, doté d’une force surhumaine, est recruté et baptisé « Hammer » par un groupe clandestin qui lutte contre une puissante organisation internationale bénéficiant aussi du soutien d’êtres aux pouvoirs exceptionnels.

Theodore Beale, qui blogue sous le nom Vox Day, a indiqué lors d’une entrevue accordée au conspirationniste Alex Jones en mai 2018 que la série visait à mettre en relief la bataille « entre mondialisme et nationalisme ».

Il a précisé à cette occasion qu’Alt Hero se voulait aussi une façon de contrer les efforts des « combattants du progrès social » (social justice warriors) qui s’efforcent, selon lui, de dénaturer l’univers des superhéros pour faire avancer leur programme politique.

C’est une grande étape dans la guerre culturelle en cours puisqu’il s’agit de l’une des premières fois que la droite réussit à reprendre le contrôle d’un espace que la gauche prétendait s’être attribué.

Theodore Beale, créateur d’Alt Hero

Sociofinancement et cinéma

L’éditeur d’Alt Hero a aussi financé récemment une série inspirée du courant conspirationniste QAnon. Une campagne de sociofinancement avait notamment été lancée à cette fin à l’automne sur le site Indiegogo, qui a décidé de l’interrompre en relevant qu’elle contrevenait à son code de conduite.

IMAGE TIRÉE D'UNE BANDE DESSINÉE

La page couverture du deuxième numéro de la bande dessinée Alt Hero

Dans une entrevue récente relayée sur YouTube par un admirateur, Theodore Beale dit maintenant travailler sur un film s’inspirant des bandes dessinées qu’il chapeaute.

Dans ses interventions sur son blogue, le militant, qui vit en Italie, parle fréquemment de l’immigration comme d’une grave menace pour la société américaine.

« L’immigration, la diversité et l’assimilation sont une punition que Dieu inflige à la nation parce qu’il s’agit d’une manière de détruire une nation encore plus complètement qu’à travers la guerre », a notamment écrit M. Beale.

Le militant, qui compare quatre représentants au Congrès récemment critiquées par le président Donald Trump à « des envahisseuses qui haïssent » les Américains, n’a pas donné suite à la demande d’entrevue de La Presse.

Il n’a pas été possible de connaître le nombre d’exemplaires de la bande dessinée vendus par l’entremise d’Amazon, qui s’est bornée cette semaine à transmettre une copie de ses directives sur le contenu en réponse à nos questions.

Ces directives précisent que la société se réserve le droit de bloquer les documents ayant un contenu « inapproprié », mais le terme n’est pas défini.

Deux librairies montréalaises spécialisées dans les bandes dessinées ont indiqué, lundi, n’avoir jamais entendu parler d’Alt Hero ou de son éditeur.

Difficile diversification

Laurent Boutin, libraire chez Planète BD, note que ce n’est pas la première fois que des idéologues extrémistes tentent de peser sur l’univers de la bande dessinée.

Des femmes et des personnes issues de minorités ethniques travaillant dans ce secteur ont été ciblées aux États-Unis au cours des dernières années par des campagnes de harcèlement en ligne.

Les instigateurs de ces campagnes sont indignés par les efforts de diversification de Marvel et DC Comics, qui ont notamment introduit des héroïnes inspirées de personnages traditionnels comme Thor ou Wolverine.

Au-delà des tensions idéologiques mises en relief par Alt Hero, M. Boutin note qu’il existera toujours « des puristes de sous-sol » qui s’irritent de tout changement apporté aux personnages traditionnels de superhéros.

« Il y a des gens qui ont gueulé quand Captain Marvel a changé de coupe de cheveux. Pour eux, il faudrait que tout soit comme quand ils étaient petits », relève M. Boutin.

La diversification en cours permet, selon lui, d’attirer de nouvelles clientèles et fait émerger de riches récits.

« C’est la même chose qu’avec le prochain James Bond, qui sera joué par une femme noire. Après qu’il a été incarné 25 fois par un homme blanc, c’est bien de changer », dit-il.