(New York) À la 20e semaine de sa grossesse, Donna Edwards a appris que son enfant naîtrait avec une maladie congénitale — le spina-bifida — qui entraîne la paralysie et d’autres complications. Son docteur l’a encouragée à avorter. Elle et son mari, John Bel Edwards, ont refusé. Leur fille Samantha, qui s’est mariée en 2016, gagne aujourd’hui sa vie comme conseillère scolaire.

La naissance de Samantha Edwards remonte à près de trois décennies. Mais elle continue à avoir des conséquences qui dépassent largement sa famille. En 2015, elle a contribué à l’élection de John Bel Edwards au poste de gouverneur de la Louisiane devant l’ancien sénateur républicain David Vitter. Durant la campagne, Donna Edwards a rappelé la réaction de son mari à la suggestion de son obstétricien. « John Bel n’a jamais hésité. Il a simplement dit : “Non, nous allons aimer ce bébé quoi qu’il arrive” », s’est-elle souvenue dans une pub télévisée.

Et John Bel Edwards a réjoui tous les démocrates en devenant l’unique gouverneur de leur parti à diriger un État du Sud profond. Mais ce politicien catholique âgé de 52 ans devrait bientôt décevoir bon nombre d’entre eux en promulguant l’une des lois les plus restrictives en matière d’avortement aux États-Unis.

« Ma position n’a pas changé. Quand j’ai brigué le poste de gouverneur, j’ai dit que j’étais pro-vie, il y a donc cohérence », a-t-il expliqué, jeudi dernier, après le vote du Sénat de la Louisiane approuvant un projet de loi destiné à interdire l’avortement dès que les battements de cœur du fœtus sont détectables, soit vers la sixième semaine.

Ne manque donc plus que le vote de la Chambre de l’État et la signature du gouverneur, deux formalités, pour que la Louisiane emboîte le pas à cinq États — Kentucky, Mississippi, Ohio, Géorgie et Missouri — ayant adopté des lois semblables (dont aucune n’est encore entrée en vigueur).

La position de John Bel Edwards illustre l’une des vulnérabilités souvent occultées des démocrates sur le front de l’avortement : ils sont moins unis que les républicains sur cet enjeu.

Il faut d’ailleurs noter que l’auteur du texte adopté par le Sénat de la Louisiane, John Milkovich, a été élu sous la même bannière que John Bel Edwards.

Des leçons d’histoire

Le phénomène ne date pas d’hier. L’une des décisions majeures de la Cour suprême des États-Unis sur l’avortement — « Planned Parenthood c. Casey » — opposait l’organisation de planification familiale bien connue à un autre gouverneur démocrate et catholique. Il se trouve que cette décision a ouvert la voie aux nouvelles lois restrictives sur l’avortement, dont celle de l’Alabama qui a interdit, la semaine dernière, cette procédure à tous les stades de la grossesse et criminalisé l’intervention des médecins.

Bref retour en arrière : en 1989, le gouverneur de Pennsylvanie Bob Casey, chef de file de l’aile pro-vie du Parti démocrate, promulgue une loi qui vise à limiter l’accès à l’avortement. Parmi les nouvelles conditions : la notification des parents de mineures, le délai de réflexion de 24 heures avant l’avortement et l’interdiction des interruptions tardives de grossesse.

Dans sa décision de 1992, la Cour suprême maintient le droit constitutionnel à l’avortement consacré par l’arrêt « Roe c. Wade » de 1973, tout en permettant aux États d’imposer des restrictions, à condition qu’elles ne constituent pas un « fardeau excessif ».

La plus haute instance introduit par ailleurs la notion de « viabilité du fœtus », qui garantit le droit des femmes à avorter tant que le fœtus n’est pas viable, vers la 24e semaine. Les nouvelles lois restrictives sur l’avortement sont donc en contradiction non seulement avec la décision « Roe c. Wade », mais également avec « Planned Parenthood c. Casey ».

Mais la composition de la Cour suprême a changé depuis la décision de 1992, rendue par cinq voix contre quatre.

Le juge Anthony Kennedy, qui avait voté avec la majorité, a notamment été remplacé par un juge conservateur, Brett Kavanaugh, dans lequel les opposants à l’avortement fondent de grands espoirs.

Sur la défensive

Dans le même temps, les défenseurs du droit à l’avortement se retrouvent sur la défensive pour d’autres raisons. Après les élections législatives de novembre 2018, deux États — New York et Virginie — ont adopté des lois assouplissant les conditions pour avorter au troisième trimestre de la grossesse en cas de danger pour la mère. En expliquant la nouvelle mesure, le gouverneur de Virginie, Ralph Northam, a décrit un scénario hypothétique après l’avortement d’un fœtus qui « pourrait ne pas être viable ».

« Dans ce cas-là, si une femme commence à accoucher, le nourrisson sera mis au monde, l’enfant sera gardé confortablement. Le nourrisson sera réanimé si la mère et la famille le désirent. Ensuite, une discussion aura lieu entre les médecins et la mère », a-t-il dit lors d’une entrevue radiophonique.

Depuis, Donald Trump et les opposants de l’avortement accusent les démocrates d’être favorables à l’« infanticide » et d’être « le parti de la mort ». Les défenseurs du droit à l’avortement dénoncent une campagne calomnieuse et trompeuse destinée à mobiliser la base électorale du Parti républicain. Mais les échos de cette campagne sont entendus bien au-delà de cette base. Selon des sondages menés par des groupes progressistes ces dernières semaines, plus de la moitié des Américains sont au courant de l’accusation d’« infanticide » lancée par le président et ses alliés contre les démocrates.

Nombre d’entre eux devraient en outre apprendre bientôt qu’un gouverneur démocrate tourne le dos à son propre parti sur la question de l’avortement, qui continue à déchirer les États-Unis.