(New York) Les animateurs de NRATV, chaîne du puissant lobby américain des armes à feu, agitent souvent le spectre de la guerre civile. Mais c’est plutôt une guerre fratricide sans précédent, sur fond de crise financière et d’enquête criminelle, qui vient d’éclater au sein même de la National Rifle Association (NRA). Retour sur les problèmes qui assiègent cette organisation et qui compromettent son avenir.

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Oliver North

North c. LaPierre

Mercredi dernier, Oliver North a largué une bombe. Élu l’an dernier à la présidence du lobby – une fonction honorifique – , cet ancien conseiller de Ronald Reagan et héros conservateur a accusé dans une lettre l’indéracinable directeur de l’organisation, Wayne LaPierre, d’abus financiers. Et il menaçait ce dernier de rendre ces accusations publiques s’il ne démissionnait pas. LaPierre a contre-attaqué deux jours plus tard en accusant publiquement North d’extorsion. « Ce à quoi nous assistons est l’une des luttes de pouvoir publiques les plus inhabituelles pour le contrôle d’une des organisations politiques les plus puissantes des États-Unis », a dit à La Presse Richard Feldman, ex-lobbyiste de la NRA. « Et il semble que Wayne LaPierre soit parvenu à conserver son pouvoir et sa position en tant que leader. »

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Wayne LaPierre

LaPierre réélu

De fait, Oliver North a rendu les armes samedi dernier, au deuxième jour de la convention annuelle de la NRA, à Washington. Dans une lettre lue à la tribune par un allié, il a annoncé qu’il ne solliciterait pas un autre mandat à la présidence du lobby. Deux jours plus tard, le conseil d’administration de la NRA a reconduit à l’unanimité LaPierre dans ses fonctions. Mais les problèmes de l’organisation restent entiers. « Le premier problème de la NRA en est un d’argent. Ils sont lourdement endettés, leur collecte de fonds est en baisse, et ils dépensent beaucoup d’argent pour des choses qui semblent pas mal extravagantes », a expliqué à La Presse Robert Spitzer, politologue à l’Université d’État de New York à Cortland et expert de la question des armes.

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Donald Trump Jr., le président américain Donald Trump, le directeur législatif de la NRA, Chris Cox, et le DG de la NRA, Wayne LaPierre, lors d'un rassemblement de la NRA à Dallas, l'an dernier.

Le « Trump Slump »

Une partie des ennuis financiers de la NRA est attribuable à Donald Trump. Situation d’autant plus paradoxale que la NRA a dépensé la somme colossale de 33 millions de dollars pour contribuer à son élection. « Les gens du lobby des armes à feu appellent ça le "Trump Slump" », explique Robert Spitzer. « C’est l’inverse du phénomène qui s’est produit lorsque Barack Obama était à la Maison-Blanche. Non seulement les ventes d’armes à feu sont-elles en baisse, mais les dons à la NRA sont également en chute libre. » Et puis, il y a la controverse entourant les dizaines de millions de dollars que la NRA verse annuellement à son plus important contractant, Ackerman McQueen, une boîte de publicité qui produit notamment les émissions de NRATV.

Factures salées

Qui ne se souvient pas de l’acteur Charlton Heston qui, brandissant une carabine antique, promettait qu’on ne la lui enlèverait qu’en la prenant de ses « mains froides et mortes » ? La scène avait été concoctée par Ackerman McQueen, qui est aujourd’hui poursuivie par la NRA. Le lobby veut forcer la boîte d’Oklahoma City à produire les documents justifiant ses factures salées qui ont totalisé 40 millions de dollars en 2017. Oliver North faisait partie des défenseurs d’Ackerman. La boîte l’a payé 1 million de dollars pour animer une série d’émissions. « North ne montait pas un cheval blanc et il n’avait pas les mains propres quand il a lancé ses accusations contre LaPierre », dit Richard Feldman, ex-lobbyiste de la NRA. « Personne n’est propre dans cette affaire ! »

Enquête criminelle

La procureure générale de l’État de New York, elle, n’a jamais caché son mépris pour la NRA. Avant son élection à ce poste, en novembre dernier, Letitia James a affirmé que le lobby n’était pas une « organisation caritative », contrairement à ce qu’il prétend, mais « une organisation terroriste ». Elle a également promis d’enquêter sur les finances de la NRA, promesse qu’elle a mise à exécution vendredi dernier. Elle peut le faire parce que l’organisation, dont le siège se trouve en Virginie, a été établie en vertu d’une charte de l’État de New York, en 1871. Son enquête pourrait avoir une fin que redoute la NRA : la perte de son exemption fiscale. « Ça pue la politique », commente Richard Feldman. « Ce n’est pas une enquête criminelle, c’est une enquête politique. »

Retombées politiques

Les problèmes financiers et juridiques de la NRA pourraient l’empêcher de jouer dans l’élection présidentielle de 2020 un rôle aussi important qu’en 2016. Déjà, les élections de mi-mandat ont vu son influence diminuer. « La NRA a dépensé moins que les organisations en faveur d’un plus grand contrôle des armes à feu. C’était la première fois que ça arrivait dans une élection nationale », dit le politologue Robert Spitzer. « Et les candidats qui prônaient un plus grand contrôle des armes à feu ont bien fait, contribuant à la majorité démocrate à la Chambre des représentants. » Lucy McBath, mère d’un adolescent tué par balles, est un exemple. Élue dans une circonscription de Géorgie, elle a reçu l’appui d’un groupe financé par l’ex-maire de New York Michael Bloomberg.

Contre-attaque

Mais Richard Feldman, ex-lobbyiste de la NRA, prévoit une contre-attaque efficace de la part du lobby. « Je vous garantis que la National Rifle Association ne s’effondra pas à cause de l’enquête de la procureure générale. La NRA n’a pas son pareil pour transformer des allégations en quelque chose de différent et inquiétant. Ils se tourneront vers leurs 5 millions de membres et diront : ‟Ils s’en prennent à nous, ce qui veut dire qu’ils s’en prennent à vous ! Si vous voulez que nous vous protégions, envoyez-nous de l’argent.” » Cela leur servira à collecter des fonds. Robert Spitzer abonde dans le même sens. « Je ne pense pas que la NRA s’écroulera ; elle est déjà revenue après avoir fait face à l’adversité. »

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Carolyn Meadows, nouvellement nommée présidente de la NRA

Nouvelle présidente

En attendant, la NRA a provoqué une nouvelle controverse en choisissant Carolyn Meadows pour remplacer Oliver North au poste de président du lobby. Originaire de la Géorgie, Meadows est également présidente du conseil d’administration de la Stone Mountain Memorial Association, qui gère le plus grand mémorial confédéré. L’un des flancs de Stone Mountain présente le plus grand bas-relief au monde et célèbre les chefs du mouvement sécessionniste des États esclavagistes, de Jefferson Davis à Robert Lee en passant par Sonewall Jackson. Le site est considéré comme un lieu de pèlerinage pour les suprémacistes blancs. C’est sur le sommet de cet immense rocher de granit que la deuxième mouture du Ku Klux Klan a vu le jour, en 1915, selon le magazine The Smithsonian.