Deux adolescents perturbés, des dizaines de textos échangés, et finalement, un jeune garçon poussé au suicide par sa petite amie, jugée vendredi coupable d'homicide involontaire dans un verdict qui pourrait faire date aux États-Unis.

Après huit jours d'audiences devant le tribunal pour enfants de Taunton, dans le Massachusetts, le juge Lawrence Moniz a déclaré coupable Michelle Carter, aujourd'hui âgée de 20 ans, mais de 17 seulement au moment des faits.

Son petit ami, Conrad Roy, 18 ans à l'époque, avait été retrouvé mort dans sa camionnette le 12 juillet 2014, garé dans le stationnement d'un supermarché près d'une pompe qu'il a utilisée pour remplir son véhicule de monoxyde de carbone.

Au final, ce ne sont pas les nombreux textos dans lesquels la jeune fille a encouragé Roy - aux tendances suicidaires avérées - à se donner la mort qui semblent avoir emporté la conviction du juge, mais un coup de téléphone entre les deux adolescents.

Conrad Roy avait déjà commencé à passer à l'acte, en emplissant sa camionnette de monoxyde carbone, a souligné le juge Moniz lors d'une audience retransmise en direct par les télévisions locales.

Mais alors que l'air dans le camion devient irrespirable, il en sort et les deux jeunes se parlent longuement au téléphone: «Retourne dedans!» lui intime alors Michelle Carter, selon la retranscription de leur conversation produite par l'accusation.

Ce qu'il fera, tout en restant en ligne avec elle. Elle l'entend commencer à tousser, se sentir mal, mais ne préviendra personne, ni la police ni sa famille dont elle avait pourtant les coordonnées.

Le juge a estimé que c'était ce comportement «vicieux et dangereux» qui avait «causé la mort de M. Roy».

Il a déclaré Michelle Carter «coupable du chef d'accusation d'homicide involontaire». Un verdict salué par le père de Roy, qui s'est dit «heureux» après «une période très difficile pour notre famille.»

L'accusée, impeccablement habillée pendant tout le procès, pleurait elle en silence.

Elle avait assisté aux débats entamés le 6 juin sans prendre la parole. Comme le droit américain l'y autorise, son avocat, Joseph Cataldo, ne l'a pas appelée à la barre pour lui éviter un contre-interrogatoire toujours risqué de l'accusation.

M. Cataldo avait tout fait pour éviter le procès, arguant que le dossier à charge était insuffisant puisque Carter n'était pas physiquement avec Roy lors du suicide. Mais ses appels avaient été rejetés.

Délires mégalomanes

Le procès a brossé le sombre portrait de deux adolescents perturbés, sous traitement médicamenteux, qui s'étaient rencontrés lors de vacances en Floride en 2012, mais dont la relation s'était résumée ensuite essentiellement à des échanges par textos et coups de téléphone.

La défense comptait beaucoup sur le témoignage du psychiatre Peter Breggin, qui a décrit en détail les médicaments que prenait Michelle Carter, traitée dès l'âge de 14 ans pour dépression.

Elle a ainsi pris le célèbre antidépresseur Prozac pendant huit mois, avant que la dose ne soit réduite, puis le traitement arrêté et recommencé à nouveau.

Selon ce médecin, le traitement l'aurait «involontairement intoxiquée», causant chez la jeune fille des délires mégalomanes qui l'incitaient à penser qu'elle seule pouvait mener Conrad Roy vers la mort.

Mais le juge Moniz a estimé que ce témoignage ne suffisait pas à oblitérer «l'intentionnalité» du comportement de Michelle Carter.

La salle du tribunal de Taunton était pleine vendredi pour l'annonce du verdict.

Le suspense était d'autant plus grand que l'État du Massachusetts n'a pas, contrairement à d'autres États américains, de loi pénalisant l'encouragement au suicide.

La décision du juge Moniz a surpris de nombreux experts, qui s'attendaient à un acquittement.

«Le verdict reflète la volonté de la justice d'étendre la responsabilité juridique en cas de suicide d'une autre personne, alors que par définition cet acte reflète un choix complètement indépendant», a estimé Danny Cevallos, expert en droit, sur CNN.

Laurie Levenson, professeure de droit à Los Angeles citée par le New York Times, a souligné que la décision pourrait plus largement changer le jugement de la société sur certains comportements adolescents.

«Ce qu'on considérait auparavant comme juste une tragédie pourrait maintenant devenir un délit», a-t-elle indiqué.

Michelle Carter devrait connaître sa sentence le 3 août. Elle encourt jusqu'à 20 ans de prison en cas de condamnation.