«On a volé à mon père la chance de dire adieu à ceux qu'il aimait le plus», raconte, en larmes, Madhis Keshavarz, américaine d'origine iranienne, à propos du décret migratoire du gouvernement Trump.

«Il est mort le 16 février. Il était à l'hôpital auparavant pour quelques jours, et nous avions besoin que notre famille vienne nous aider. Il était très proche de son frère», explique, la voix brisée, cette conseillère en stratégie médiatique.

À cause du décret migratoire controversé, pour l'instant suspendu par les tribunaux, ni son oncle ni ses neveux n'ont pu obtenir de visa pour les États-Unis.

Outre le besoin de soutien émotionnel, sa mère, sa soeur et elle se sont retrouvées face à de multiples formalités: son père et son oncle avaient des procurations respectives pour «tout un tas de choses pour lesquelles on compte sur sa famille».

Dans sa version actuelle, la nouvelle mouture du décret migratoire interdit pour trois mois aux ressortissants de six pays dont l'Iran d'entrer aux États-Unis. Ne sont cependant pas concernés les Américains à double nationalité ou les détenteurs de carte verte ou de visas pré-existants. Et pourtant, leurs vies aussi sont affectées, parfois durablement, à bien des niveaux.

Ce décret est présenté par le président Donald Trump comme «vital» pour protéger le pays de radicaux islamistes, mais ses adversaires le qualifient d'instrument de discrimination envers les musulmans.

Il mentionne de multiples exemptions possibles, notamment pour ceux qui rendraient visite à de la famille. Et pourtant, l'oncle de Madhis, citoyen allemand «venu 30 fois aux États-Unis», n'a toujours pas pu obtenir de visa, plus d'un mois après le décès de son frère, bien qu'il ait fourni «tous les papiers nécessaires et une lettre de l'hôpital», parce qu'il «passe une partie de son temps en Iran».

«Mon père était un donneur d'organes. Maintenant, il y a un Américain qui respire grâce à lui, mais lui a été privé du droit élémentaire de dire au revoir à ses proches», comme tout autre citoyen, déplore Mahdis.

Peur de l'avenir

L'une de ses proches amies, une Britannique qui a aussi la nationalité iranienne, a voulu lui rendre visite pour lui remonter le moral. Elle s'est vue demander un visa alors qu'en théorie les Anglais en sont dispensés. Le consulat a «gardé son passeport et elle a raté son avion».

Quant à son cousin aux États-Unis, il est fiancé à une Iranienne qu'il n'a «pas pu voir depuis la fin de l'an dernier». Ils n'ont aucune idée de quand elle pourra obtenir un visa. Leurs préparatifs de mariage sont suspendus.

Mahdis reconnaît qu'une partie de ces tracas existaient déjà sous l'administration Obama, «mais on connaissait la procédure», remarque-t-elle, alors que depuis l'arrivée à la Maison-Blanche du républicain Donald Trump, c'est le grand flou.

Quelque 400 000 personnes d'origine iranienne, souvent avec la double nationalité, vivent dans la région de Los Angeles et environ un million sur l'ensemble des États-Unis.

«Les choses n'ont jamais été faciles» renchérit Madhi Rahimi, qui travaille dans une entreprise de recherche informatique de la Silicon Valley. Lorsqu'il était étudiant, il n'est rentré qu'une fois en Iran, «et ça m'a pris quatre mois pour revenir».

Sa mère et son frère n'ont pu lui rendre visite qu'une fois en une décennie, et «il a fallu neuf mois» de formalités.

Le décret amène toutefois ce trentenaire à reconsidérer son avenir: «Je veux devenir citoyen américain, mais (...) si ça veut dire ne jamais voir ma famille, je ne sais pas si ça vaut la peine».

Anxiété intense

Arash Saedinia, un Irano-Américain de 43 ans qui enseigne la littérature anglaise, évoque une période d'intense anxiété pour toute sa communauté. Même les détenteurs de carte verte «n'osent plus quitter le pays, ne serait-ce que pour un court voyage».

Il dit craindre que la rhétorique agressive entre les États-Unis et l'Iran mène à une guerre.

Ce décret «nous fait nous sentir diabolisés», s'insurge Madhis, qui souligne que beaucoup d'Iraniens ont été contraints de fuir leur pays «en conséquence de la politique étrangère américaine», notamment le coup d'État de 1953 soutenu par la CIA.

«Ils ont bâti une communauté très prospère» dans la Silicon Valley, la recherche universitaire, la médecine... Pourtant, depuis les années 70 nous ne sommes pas vus et traités comme des Américains ordinaires (...), c'est épuisant, et une blessure profonde d'avoir toujours à prouver que vous méritez votre citoyenneté», conclut-elle.