Alors que les Américains profitent du long congé de l'Action de grâce américaine, dans la réserve lakota de Standing Rock, au Dakota du Nord, la fête prend un tout autre air. Des milliers de manifestants autochtones et non autochtones, qui s'opposent à la construction d'un oléoduc depuis le mois d'août, se préparent à lutter dans le froid. L'hiver, craignent-ils, s'annonce brutal.

Dimanche dernier, à la tombée de la nuit, Husayn Allmart était assis près de l'un des « feux sacrés » qu'entretiennent jour et nuit les Lakotas de Standing Rock quand, à 200 mètres de lui, il a été témoin d'une scène qui l'a laissé sans voix.

« Il faisait un froid de canard, même sur le bord du feu, et les forces de l'ordre ont commencé à asperger les manifestants d'eau », dit-il au téléphone. « On voyait et on entendait des explosions, les secours avaient de la difficulté à se rendre jusqu'aux blessés parce que le sol était couvert de glace. Je n'en croyais pas mes yeux », témoigne l'Américain de l'Illinois qui avait fait le voyage de 13 heures jusqu'à Standing Rock, une communauté qu'il fréquente depuis l'adolescence, pour porter des denrées aux manifestants.

Depuis août dernier, les autochtones de Standing Rock et des milliers de sympathisants manifestent contre la construction de l'oléoduc Dakota Access. Ce dernier, s'il est complété selon les plans actuels, passera sous les deux principales sources d'approvisionnement en eau de la communauté lakota, soit le lac Oahe et la rivière Missouri.

En quatre mois, plusieurs affrontements ont eu lieu entre les manifestants et les policiers du Morton County, mais rien qui ait eu l'ampleur de dimanche. 

« On est en choc post-traumatique », dit Waniya Locke, l'une des instigatrices du mouvement, jointe cette semaine par La Presse.

La tension a monté dimanche après-midi après qu'une centaine de manifestants eurent tenté de retirer deux camions incendiés de la route. Les véhicules avaient été mis en place par les forces de l'ordre pour bloquer l'accès des protestataires à la route qui mène à Bismarck, le chef-lieu. Les policiers ont répondu avec des gaz lacrymogènes, du gaz poivré et des canons à eau.

En entrevue avec les médias, les autorités ont déclaré que leurs agents s'étaient sentis menacés par les manifestants et qu'ils avaient utilisé des jets d'eau pour éteindre des feux allumés par les manifestants ainsi que pour contrôler la foule. La Garde nationale, déployée sur les lieux pour maintenir la paix, n'a pas donné suite aux appels de La Presse. Une vidéo mise en ligne par le journal britannique The Guardian montre des manifestants se faisant asperger, et ce, même s'ils sont séparés des forces de l'ordre par une clôture de barbelés.

De leur côté, les protestataires disent qu'ils n'étaient pas armés et n'ont pas allumé de feu et ils rapportent que des balles de plastique et des bombes sonores ont été utilisées contre eux. Selon les services de santé qui veillaient à leur bien-être, plus de 300 personnes ont souffert d'hypothermie et 26 ont dû être hospitalisées. Une femme de 21 ans, Sophia Wilinsky, hospitalisée depuis dimanche, est menacée de perdre un bras. « Ce sont les pires blessures que nous ayons vues depuis le début du mouvement de protestation. Maintenant, nous essayons d'unir le camp à nouveau après ces évènements. Nous devons prendre en charge beaucoup de traumatismes », dit Waniya Locke.

Célébrités et solidarité autochtone

Jeudi, l'actrice Jane Fonda s'est jointe aux quelque 10 000 manifestants, installés dans deux camps, pour le repas de l'Action de grâce. Mme Fonda n'est pas la première vedette à visiter la communauté autochtone. Le chanteur Neil Young a choisi de fêter son anniversaire à Standing Rock, ce mois-ci, et les acteurs Leonardo DiCaprio et Susan Sarandon ont fait plusieurs apparitions au cours des derniers mois.

De plus, des autochtones des quatre coins du monde ont aussi afflué au cours des derniers mois vers la réserve du Dakota en signe de solidarité avec la communauté autochtone de quelque 10 000 habitants. De nombreux militants non autochtones, dans une large proportion des environnementalistes, font aussi partie du mouvement de résistance.

« Tous ceux qui viennent ici le font sur une base volontaire. Et tout est 100 % bénévole. En ce moment, on est en train de préparer le camp pour l'hiver. On a besoin de tentes d'armée, de yourtes et d'habitations plus permanentes », relate Winiya Locke. Active sur le terrain, elle est aussi très présente dans les médias sociaux. Elle mène actuellement une grande campagne pour demander aux investisseurs qui financent le projet d'oléoduc de retirer leurs fonds.

Waniya Locke note que les prochaines semaines sont cruciales pour les manifestants. La société Energy Transfer Partners a presque terminé la construction de l'oléoduc de 1886 km qui relie des champs pétroliers de Bakken dans le Dakota du Nord à l'Illinois.

En principe, la société devra attendre que la cause des Lakotas de Standing Rock soit entendue en cour, en janvier, avant de pouvoir terminer la construction. « Mais tous les jours, ils continuent à avancer, se désole Waniya Locke, qui croit toujours que les manifestants peuvent avoir gain de cause. Mais peu importe ce que nous allons faire. On nous répondra par la force. »