Membre du premier groupe néonazi skinhead aux États-Unis dans les années 80 et 90, Christian Picciolini a depuis répudié les idées haineuses et milite partout sur la planète contre l'endoctrinement d'extrême droite au moyen de son organisation Life After Hate. « Le pire reste à venir : Trump a été élu il y a 15 jours à peine », dit M. Picciolini, qui vient de faire paraître Romantic Violence : Memoirs of an American Skinhead, un livre qui retrace son parcours unique. La Presse l'a joint chez lui, en Illinois.

Des médias utilisent le terme « alt-right » pour parler des suprémacistes blancs qui vivent une nouvelle impulsion depuis la victoire de Donald Trump. En quoi ce groupe est-il différent des néonazis ?

C'est la même chose. Les gens qui adhèrent à ces idées sont des néonazis, mais le terme fait peur, alors ils utilisent des termes comme « alt-right » ou bien « socialistes nationaux ». Le groupe est très conscient de son image. Les membres ont appris à ne pas se promener avec leur drapeau avec une croix gammée, ou à se faire tatouer ou à se raser la tête... Mais les idées sont les mêmes. C'est une nouvelle incarnation du mouvement néonazi.

Avez-vous été surpris de voir des gens faire le salut nazi à une conférence de gens d'extrême droite à Washington en fin de semaine ?

Non. C'est la même rhétorique que nous enseignions avec les skinheads il y a plusieurs années, et aujourd'hui, on passe de la théorie à la pratique.

L'élection de Trump a servi de bougie d'allumage pour ces gens, qui se sentent légitimés dans leur haine. C'est un mouvement de masse fondé sur l'ignorance, la peur et la désinformation. Et ce n'est pas un groupe isolé. C'est un problème gigantesque que j'ai personnellement sous-estimé, même si je m'y intéresse depuis des années. Le bon côté, si on peut appeler ça comme ça, c'est que le problème vient de sortir de l'ombre, et qu'on s'y intéresse sur la place publique.

Contrairement à d'autres observateurs, vous ne donnez pas à Donald Trump le « bénéfice du doute ». Pourquoi ?

Tout ce que Trump a fait durant sa campagne et jusqu'à aujourd'hui est de parler d'expulsions massives, de registre de musulmans, d'isolement national, de marginalisation des personnes LGBTQ, de rabaisser les femmes... Et depuis son élection, Trump n'a rien dit pour modifier ce bilan.

Bien des gens disent : « Attendons de voir. » Attendons de voir quoi ? Tout ce qu'il a proposé sont des choses auxquelles, en tant qu'Américains, et je suppose en tant que Canadiens, nous sommes opposés.

En plus, il vient de nommer dans son cabinet des gens qui défendent l'idéologie du nationalisme blanc. Ça ne me donne pas espoir de voir les choses s'améliorer ; ça me donne au contraire à penser que les choses vont aller en empirant. Et c'est aussi vrai pour le Canada : il y a des groupes néonazis très actifs au Canada et aussi en Europe.

Comment entrevoyez-vous les prochains mois ?

Donald Trump a été élu il y a 15 jours à peine, et les dernières statistiques montrent que plus de 800 crimes haineux ont été répertoriés aux États-Unis depuis l'élection. C'est une statistique qui me donne froid dans le dos. Je ne crois pas que nous allons voir une diminution de ces gestes, je crois au contraire qu'ils vont augmenter après le 20 janvier 2017, quand la nouvelle administration sera au pouvoir et implantera ses politiques.

Pour certains partisans de Trump, c'est presque un devoir patriotique d'avilir les gens qui sont contre eux. Je crois que nous allons voir une hausse des crimes haineux, une hausse du discours haineux, une hausse dans la visibilité de ce mouvement. Même CNN accorde du temps d'antenne à des suprématistes blancs. Je n'ai pas de problème à ce qu'on parle du sujet, mais carrément donner du temps d'antenne à des gens comme David Duke ou Richard Spencer, du groupe néonazi alt-right, c'est une mauvaise idée.

La bonne nouvelle, c'est que l'élection de Donald Trump a mobilisé les gens qui s'opposent à ces idées. Depuis deux semaines, j'ai reçu un nombre sans précédent de demandes de la part d'amis, de connaissances, de ma famille, d'anciens collègues, qui veulent s'impliquer activement. Les gens sentent qu'ils ne peuvent plus rester silencieux.