Malgré le maigre répit offert par El Niño, la sécheresse record qui sévit depuis quatre ans en Californie est partie pour durer et ses habitants doivent apprendre à vivre avec cette nouvelle donne, affirment les experts.

Le phénomène climatique El Niño, qui découle d'une montée de la température du Pacifique et déclenche d'intenses précipitations, n'a apporté qu'«un pansement sur une blessure béante», constate Julien Emile-Geay, paléoclimatologue à l'Université de la Californie du Sud (USC).

D'après lui, il faudrait plusieurs années d'intenses pluies et chutes de neige pour combler le déficit d'eau. Or cet hiver, elles ont à peine retrouvé leurs moyennes saisonnières au nord de l'État. Au sud, elles sont restées très insuffisantes pour remplir cours d'eau et nappes phréatiques desséchés.

La crise de la sécheresse, qui a provoqué des incendies ravageurs, menace des espèces animales et prive des milliers de foyers d'accès à l'eau potable, est donc loin d'être terminée.

Les autorités du vaste État de l'Ouest américain parlent du changement climatique comme d'une réalité à laquelle ses 39 millions d'habitants doivent s'habituer.

L'Agence des ressources en eau (DWR) anticipe ainsi, sur son site internet, que le manteau de neige sur les montagnes de la Sierra Nevada, essentiel pour ensuite remplir les cours d'eau et nappes phréatiques, va diminuer de 25 % d'ici 2050, de moitié d'ici la fin du siècle.

Une perspective d'autant plus inquiétante qu'à cause de la hausse des températures, l'évaporation des sols augmente, souligne M. Emile-Geay.

Pour lui, l'État le plus peuplé des États-Unis n'est pas prêt à affronter «un climat de plus en plus sec avec une population qui continue de grandir sans stratégie de long terme pour gérer ces déséquilibres».

Heather Cooley, du Pacific Institute, assure que la Californie a fait de gros progrès et «utilise moins d'eau qu'il y a 30 ans», mais cet État riche doit tourner la page de sa culture d'abondance.

Les économies d'eau obligatoires de 25 % édictées il y a un an par le gouverneur Jerry Brown ont marqué un changement d'ère, et les restrictions ont été globalement respectées.

On voit encore toutefois beaucoup de gâchis : dans l'opulente ville de Palm Springs, au milieu du désert californien, par exemple, les golfs sont abondamment arrosés en plein midi et l'on voit des canalisations qui déversent des rivières d'eau en pleine rue.

«Devoir de réflexion»

Heather Cooley estime que les autorités doivent promouvoir, au moyen d'incitations financières, l'adoption de sanitaires et appareils ménagers plus économes, ou augmenter drastiquement la tarification de l'eau à partir d'un certain niveau de volume consommé.

Dans une région où l'essentiel de la consommation urbaine vient de l'arrosage des jardins, garder ses pelouses vertes pourrait devenir un luxe hors de prix.

Rien n'est fait non plus pour collecter l'eau de pluie. Au contraire, «tout a été conçu pour l'évacuer au plus vite afin d'éviter les inondations. Elle n'a pas le temps d'imprégner le sol et retombe dans l'océan», déplore Julien Emile-Geay.

Selon le chercheur de l'USC, la Californie doit aussi accélérer l'adoption du recyclage, de la désalinisation, et faire son «devoir de réflexion» sur son système de droits d'accès à l'eau inéquitables, archaïques et incitant à «utiliser plus que ce dont on a besoin».

Les agriculteurs, qui consomment quelque 40 % de l'eau en Californie, sont aussi souvent montrés du doigt : moins de la moitié d'entre eux ont investi dans des systèmes de micro-irrigation, et ils sont critiqués pour faire pousser en plein désert des cultures avides d'eau, comme les amandes ou l'alfalfa.

Pour Bill Diedrich, qui fait pousser noix, amandes et tomates au centre de la Californie, région surnommée le «garde-manger du monde», c'est à chaque exploitant de décider ce qu'il veut cultiver, en fonction de critères économiques.

Beaucoup d'entre eux ont déjà eu à subir de gros rationnements en eau, même si les revenus agricoles de l'État se sont maintenus, voire ont atteint des records en 2014, malgré la sécheresse, grâce à l'envolée des prix des matières premières.

La solution, pour M. Diedrich, doit venir de «l'ingénierie pour mieux capter et distribuer l'eau dont nous disposons».

M. Emile-Geay fait toutefois valoir que «si on compare le PIB par litre d'eau, faire pousser de l'alfalfa en Californie est très inefficace». Cela reste viable en raison du faible prix de l'eau, mais «la Silicon Valley consomme bien moins et génère plus de revenus».