Avec son front dégarni, ses touffes de cheveux blancs et ses lunettes cerclées de métal, Bernie Sanders n'a rien d'une rock star et encore moins d'un sex-symbol. Et pourtant, le sénateur indépendant du Vermont crée la sensation ces jours-ci aux États-Unis en faisant courir les foules en tant que candidat présidentiel.

«Ouah!», s'est exclamé le politicien de 73 ans mercredi soir dernier en saluant les quelque 10 000 personnes réunies dans un amphithéâtre de Madison, bastion progressiste du Wisconsin. «Ce soir, nous avons écrit une petite page d'histoire», a-t-il ajouté en se vantant à bon droit d'avoir attiré la plus grosse foule depuis le début de la campagne en vue de l'élection présidentielle de 2016, tous partis confondus.

Et il a remis ça deux jours plus tard à Council Bluffs, dans l'Iowa, où plus de 2500 personnes se sont déplacées pour entendre son appel en faveur d'une «révolution politique». Aucun autre des aspirants présidentiels en lice n'a réussi à rassembler une foule aussi importante dans cet État rural du Midwest qui tiendra les premiers caucus de la course à la Maison-Blanche en janvier 2016.

Pas mal pour un socialiste autoproclamé qui se promet de ravir à Hillary Clinton l'investiture démocrate pour la présidence. Au fait, l'ancienne secrétaire d'État devrait-elle commencer à s'inquiéter?

Peut-être, car les foules ne constituent pas l'unique facteur qui incite les médias américains à parler de «Berniemania» ou de «Berniementum». Il y a aussi les sondages. Dans le New Hampshire, État qui tiendra les premières primaires de 2016, Bernie Sanders a réduit son retard sur Hillary Clinton de 31 à 8 points en moins de deux mois, selon des baromètres WMUR/NBC.

Dans l'Iowa, l'écart entre les deux candidats est passé de 45 à 16 points en l'espace de deux mois, selon des sondages réalisés par l'Université Quinnipiac.

«Hillary Clinton ne devrait pas se ronger les ongles au sujet de sa situation en Iowa [...], mais Bernie Sanders ne peut certainement pas être ignoré», estime Peter Brown, directeur adjoint de l'institut de sondage de l'Université Quinnipiac. «Les électeurs démocrates qui participent aux caucus d'Iowa sont plus progressistes que les électeurs démocrates qui participent aux primaires dans la plupart des autres États, un facteur qui pourrait aider son insurrection contre Clinton, qui est le choix quasi unanime de l'establishment démocrate.»

Dans ses discours, Bernie Sanders n'attaque pas encore Hillary Clinton de front, mais il ne ménage pas ceux qui tirent les ficelles à Washington et à Wall Street.

«Le message est entendu non seulement au Wisconsin, mais également dans le reste du pays: les gens en ont assez de la politique de l'establishment, de l'économie de l'establishment. Ils veulent du changement», a-t-il déclaré à Madison, promettant notamment d'instaurer un système de santé à payeur unique, de rendre les universités publiques gratuites et de contraindre les grandes banques à se subdiviser.

Le discours du sénateur du Vermont rejoint en grande partie celui de sa collègue du Massachusetts, Elizabeth Warren, qui a suscité la déception chez les progressistes en renonçant à briguer la présidence. De toute évidence, ce discours est porteur au sein de la gauche démocrate, peu importe le messager.

Mais il demeure difficile d'imaginer un scénario qui permettrait à Bernie Sanders de vaincre Hillary Clinton, dont les appuis sont notamment plus nombreux chez les Noirs, un électorat quasiment inexistant dans l'Iowa et le New Hampshire. Le succès actuel du sénateur du Vermont n'est d'ailleurs pas sans rappeler celui d'un autre politicien de son État, l'ancien gouverneur Howard Dean, qui avait enflammé la gauche démocrate en 2003 avant d'imploser dès les caucus d'Iowa.

Le révolutionnaire

Chose certaine, Bernie Sanders serait une cible alléchante pour les républicains. Né dans une famille juive de Brooklyn, il a quitté sa ville natale à la fin des années 60 pour rejoindre les étudiants, hippies, organisateurs syndicaux, environnementalistes, opposants à la guerre du Viêtnam et autres pourfendeurs de l'establishment qui voulaient faire la révolution au Vermont.

Élu successivement comme socialiste à la mairie de Burlington, à la Chambre des représentants et au Sénat, Bernie Sanders parle encore aujourd'hui de révolution. Et les républicains ne manqueraient pas de ressortir ses écrits sur le sujet, comme le New York Times l'a fait dans un article publié samedi.

Ils pourraient notamment s'intéresser à un texte publié dans un journal alternatif sous le titre «La révolution est la vie contre la mort». Bernie Sanders, alors âgé de 30 ans, y décrit l'horreur à laquelle font face les employés de bureau d'une ville comme New York, condamnés à répéter le même «travail idiot [et] monotone» jour après jour. Un extrait: «Les années passent. Suicide, dépression nerveuse, cancer, inertie sexuelle, crise cardiaque, alcoolisme, sénilité à 50 ans. Mort lente, mort rapide. MORT.»

Le moins que l'on puisse dire, quatre décennies plus tard, c'est que l'auteur de ces lignes n'a rien d'un moribond.