L'avertissement de blizzard était officiellement en vigueur depuis près d'une heure, mais la neige tombait encore en douceur sur les gens qui faisaient la queue devant le supermarché Trader's Joe de la 14e Rue, à Manhattan, lundi après-midi.

Tous savaient que les dirigeants de la ville, dont le maire Bill de Blasio, avaient employé un vocabulaire quasi apocalyptique pour les avertir de la gravité de Juno, le nom donné à la tempête d'hiver devant ensevelir le nord-est des États-Unis. Leurs réactions à ces mises en garde alarmantes tombaient, grosso modo, dans trois catégories: la prudence, le doute et la dérision.

Walter Muldrow, serveur de restaurant, faisait partie des prudents.

«Le maire a raison: sauf en cas de force majeure, les gens devraient rester à la maison et laisser les rues aux intervenants de première ligne, a dit ce New-Yorkais âgé de 35 ans. Quand la tempête sera finie, les gens pourront sortir et s'amuser dans la neige.»

En attendant Juno, Walter Muldrow se préparait à rentrer chez lui avec les quelques provisions qu'il comptait bien pouvoir trouver au Trader's Joe.

«Je suis sûr que tous les produits laitiers seront partis, mais je ferai le plein de soupes, de ragoûts et de tartinades à sandwich. Tout se passera bien», a-t-il dit avant d'entrer dans le supermarché.

En fait, il restait des produits laitiers, mais les bouteilles d'eau avaient déjà disparu des étagères, qui avaient fait l'objet d'une rafle plus tôt dans la journée par des gens chez qui les avertissements du maire de Blasio avaient peut-être inspiré de la panique.

Des habitués

Christie Blackwood n'était pas de ceux-là. Après tout, cette jeune femme de 23 ans, chercheuse en santé publique, a vécu presque toute sa vie au New Hampshire, un État de la Nouvelle-Angleterre où les hivers ne sont guère moins rigoureux que ceux du Québec voisin.

«Je suis habituée à beaucoup de neige. Un pied de neige ou deux au New Hampshire ne cause pas l'hystérie», a-t-elle déclaré.

Christie Blackwood s'est bien gardée d'accuser les dirigeants new-yorkais de sombrer eux-mêmes dans l'hystérie. «Je suis arrivée à New York en juillet, a-t-elle dit. J'en serai donc à ma première tempête de neige ici. Qui sait? celle-ci pourrait bien paralyser la ville.»

Établie à New York depuis les années 70, Helen Sullivan ne se gêne pas, de son côté, pour tourner en dérision le ton et les mots qu'ont employés les dirigeants new-yorkais pour parler de Juno.

«De façon générale, les Américains exagèrent et utilisent des mots explosifs pour décrire la moindre tempête de neige. Je ne dis pas qu'il ne tombera pas beaucoup de neige dans les prochaines heures, mais il ne faut quand même pas confondre une tempête avec la fin du monde», dit cette directrice de produits originaire de la Nouvelle-Écosse.

En attendant, des New-Yorkais ont fait montre lundi après-midi d'une témérité ou d'un bonheur qui auraient sans doute fait plaisir à cette Canadienne. Au moins deux d'entre eux ont été vus, en shorts, faisant du jogging sous l'averse de neige. D'autres roulaient en BIXI sur la chaussée glissante. D'autres encore promenaient leurs chiens ou prenaient des photos dans des parcs enjolivés par une nouvelle couche de neige.

«Ce sera encore plus beau après la tempête», a déclaré Kathy Diebel, une photographe amatrice croisée dans le Tompkins Square Park.

Mais une bonne partie des New-Yorkais se préparaient au pire, comme leur maire.

«Je veux pouvoir donner un coup de main pour dégager mon bout de rue et mon bout de trottoir, a déclaré Steve Melago en sortant d'une quincaillerie armée d'une pelle. S'il tombe plus de deux pieds, cela pourrait prendre beaucoup de temps avant que tout soit dégagé.»

Au moment d'écrire ces lignes, il s'agissait encore d'un gros «si».