Deux cent cinquante mots. Barack Obama a consacré 250 des quelque 6800 mots de son plus récent discours sur l'état de l'Union à la lutte contre «l'idéologie creuse de l'extrémisme violent» et les «terroristes» qui menacent les États-Unis et leurs alliés. Il n'a parlé ni d'«islamisme radical», ni de «djihadisme», ni d'«extrémistes islamiques».

Certains partenaires internationaux des États-Unis sont moins circonspects ou timorés. «Oui, la France est en guerre contre le terrorisme, le djihadisme et l'islamisme radical», a déclaré le premier ministre français Manuel Valls après les attaques à Charlie Hebdo, à Montrouge et dans l'épicerie Hyper Cacher de la porte Vincennes.

«Nous faisons face à la menace très sérieuse du terrorisme islamique extrémiste en Europe, en Amérique et partout dans le monde», a déclaré de son côté le premier ministre britannique, David Cameron, lors d'une conférence de presse récente à la Maison-Blanche, où son hôte américain s'est de nouveau contenté d'utiliser l'expression «extrémisme violent».

Que penser du refus systématique de Barack Obama et de son administration de déterminer l'idéologie religieuse dont se réclament les groupes djihadistes et leurs partisans? En se limitant à dénoncer l'«extrémisme violent», le président et les autres responsables américains contribuent-ils à éviter ces amalgames qui peuvent nourrir l'islamophobie et dresser les populations musulmanes contre les États-Unis? Ou nuisent-ils à la lutte contre les djihadistes d'Al-Qaïda, du groupe État islamique et de Boko Haram, entre autres?

Aux États-Unis, ce débat semble intéresser surtout la droite, qui voit dans l'approche de l'administration Obama un déni de la réalité aussi dangereux que ridicule. Plusieurs commentateurs conservateurs se sont notamment gaussés des pirouettes verbales auxquelles s'est livré le porte-parole de la Maison-Blanche après la série d'attaques en France.

En parlant des responsables du massacre à Charlie Hebdo, Josh Earnest a condamné «ces individus qui ont commis un acte de terrorisme, et qui ont plus tard tenté de justifier cet acte de terrorisme en invoquant la religion de l'islam et l'interprétation perverse qu'ils en font».

Autrement dit, «quand ils ont réalisé qu'ils avaient besoin d'une quelconque justification, ils ont pensé à l'islam», a ironisé Rich Lowry, rédacteur en chef de l'hebdomadaire National Review.

Incrédulité

En septembre dernier, Barack Obama a suscité la même incrédulité chez les conservateurs en affirmant que «l'EIIL n'est pas islamique». «Aucune religion ne tolère le meurtre d'innocents», a-t-il ajouté en présentant sa stratégie pour éradiquer le groupe État islamique, qui a proclamé un califat entre l'Irak et la Syrie.

Mais cette incrédulité n'est pas confinée à la droite américaine. La semaine dernière, le chroniqueur du New York Times Thomas Friedman a dénoncé à son tour le refus de l'administration Obama d'établir un lien entre l'islamisme radical «et les explosions récentes de violences contre des civils (musulmans pour la plupart) commises par Boko Haram au Nigeria, par les talibans au Pakistan, par Al-Qaïda à Paris et par les djihadistes au Yémen et en Irak».

«Quand tu n'appelles pas les choses par leur vrai nom, tu t'attires toujours des ennuis», a écrit Friedman en faisant notamment référence à un sommet pour lutter contre l'«extrémisme violent» organisé par la Maison-Blanche et prévu le 18 février.

Jeffrey Bale, professeur à l'Institut d'études internationales de Monterey, en Californie, se montre encore plus cinglant à l'égard de ceux qui utilisent des termes comme «extrémisme violent sans autres épithètes identifiant le milieu idéologique d'où émanent ces extrémistes violents».

«C'est le comble de la folie et de l'imbécillité politiquement correcte», dit à La Presse ce spécialiste des groupes politiques et religieux extrémistes.

Une erreur

Le professeur Bale appelle l'Occident à décrire ses principaux ennemis terroristes actuels comme des «djihadistes motivés par une interprétation stricte, littérale et puritaine de l'islam». Selon lui, les décideurs politiques se trompent en pensant que leurs euphémismes inciteront les musulmans à appuyer «les politiques occidentales, y compris les politiques antiterroristes».

Au contraire, en prétendant que les actes violents de groupes djihadistes tel l'EI n'ont rien à voir avec l'islam, ces décideurs ne font «qu'affaiblir la position des musulmans modérés et des réformateurs qui luttent depuis des décennies contre les déprédations des islamistes radicaux», soutient-il.

«Étant donné que les musulmans modérés sont les premières victimes des islamistes radicaux, ils sont très conscients non seulement de la nature de leurs croyances, mais également des dangers qu'ils posent», ajoute le professeur.

Le sommet de la Maison-Blanche sur l'«extrémisme violent» réunira des intervenants locaux et internationaux, qui échangeront sur les mesures susceptibles d'empêcher les «extrémistes violents et leurs partisans de radicaliser, recruter ou inspirer des individus ou des groupes aux États-Unis et à l'étranger à commettre des actes de violence».

Il se peut que des participants prononcent les mots «islam radical», «djihadisme» et «extrémistes islamistes». Mais ces mots ne devraient pas franchir les lèvres du président américain et de ses collaborateurs.