En novembre prochain, les Californiens décideront par référendum du sort d'un règlement hors du commun, qui imposerait des tests de drogue aléatoires à tous les médecins oeuvrant dans les hôpitaux.

Le projet de règlement est soutenu par des avocats «chasseurs d'ambulances» représentant les victimes d'erreurs médicales, et comprend aussi une hausse des dommages maximaux pour les erreurs médicales. Il s'appuie sur un mouvement de plus en plus actif dans la communauté médicale.

Depuis 2008, deux hôpitaux reconnus - l'Hôpital général du Massachusetts et la Clinique de Cleveland - imposent de tels tests à leurs résidents en anesthésie. Et l'an dernier, deux éminences grises de la médecine américaine, Peter Pronovost, spécialiste des erreurs médicales, et Gregory Skipper, expert en traitement des dépendances chez les médecins, ont signé dans le Journal de l'Association médicale américaine (JAMA) un essai proposant des tests aléatoires de drogue et d'alcool pour tous les médecins qui exercent dans les hôpitaux.

«Plus de 2000 de nos tests de drogue ont été positifs», explique Michael Fitzsimmons, responsable du programme de tests aléatoires sur les résidents de l'Hôpital général du Massachusetts. «Mais la proportion des résidents qui font usage de drogues baisse sans cesse. Je pense que c'est une bonne chose, tout comme c'est une bonne chose que les pilotes ou les gens qui font des professions dangereuses soient surveillés pour éviter qu'ils n'aient des problèmes de drogue. Il faudrait à tout le moins qu'il y ait des tests de drogue pour tout le monde après des cas d'erreurs médicales.»

Au Québec

Au moins un médecin québécois spécialiste en toxicomanie est d'accord avec cette approche. Le Programme d'aide aux médecins (PAMQ) du Collège des médecins a en effet dirigé La Presse vers Jean-Pierre Chiasson, de la clinique Nouveau Départ. «On s'en va vers ça, affirme le Dr Chiasson. J'ai vu deux psychiatres aujourd'hui. Chez les anesthésistes, il y a un gros problème de drogue. Il y a 9 millions d'heures d'invalidité par an, et les deux tiers sont de la maladie mentale. Mais souvent, on me dit de faire une expertise d'un problème de dépression, et il y a en fait un problème de drogue. On dit que la marijuana est tolérée, qu'on va peut-être la légaliser. Mais si on vous demandait si vous préfériez que votre pilote d'avion soit testé pour les drogues, ou non, que répondriez-vous?»

Le Collège des médecins se montre plus rassurant. «On compare des oranges et des tomates, dit Yves Robert, secrétaire du Collège. Au Québec, on a l'obligation de déclarer tous les accidents de soins. Et il y a la notion du système professionnel. Aux États-Unis les State Medical Boards donnent le permis d'exercice, point. Il n'y a pas d'inspection professionnelle, pas de plaintes disciplinaires. Ça doit se faire dans des poursuites civiles. Ici, notre code de déontologie interdit l'usage immodéré de substances psychotropes. Le syndic du Collège a le devoir de tenir enquête en cas de signalement et le médecin est tenu de collaborer. On a le PAMQ et aussi le programme de suivi administratif, où on suit les cas problèmes, avec des tests aléatoires de drogue et d'alcool.»

Une centaine de médecins font généralement partie du programme de suivi administratif pour des problèmes de santé mentale et de dépendances. Selon le Dr Robert, environ 30% des cas se règlent durant le délai minimum de suivi de deux ans. Au PAMQ, on indique que les drogues et l'alcool ne constituent que 5% des demandes, qui tournent autour de 500 à 600 par année.

Et pourquoi limiter les tests aléatoires aux médecins qui exercent dans les hôpitaux? «Pourquoi pas les infirmières, pourquoi pas les cliniques privées de chirurgie? Ça me rappelle le débat sur les infections transmissibles par le sang: on voulait tester les docteurs tout le temps. Il y a le principe de la liberté de la personne. En dehors de ses heures de travail, on ne peut pas dire aux gens quoi faire», indique le Dr Robert.

Les partisans américains des tests aléatoires vont même plus loin. Julius Pham, de l'Université Johns Hopkins, qui a signé l'essai du JAMA l'an dernier avec les Drs Pronovost et Skipper, pense qu'ils sont compatibles avec la nécessité d'avoir une «conduite irréprochable» pour obtenir son droit d'exercice. Et donc qu'on pourrait, dans la même foulée, obliger tous les médecins à avoir des détecteurs d'alcool liés au démarreur de leur voiture, pour éviter qu'ils conduisent en état d'ébriété.