Ils ont recours aux techniques les plus élaborées pour crypter leurs communications. Certains vont même jusqu'à éviter l'internet, préférant utiliser des téléphones prépayés pour échanger avec leurs contacts.

Ils ne sont ni espions, ni fraudeurs, ni trafiquants de drogue, même si les pratiques qu'ils ont récemment adoptées leur donnent parfois la fâcheuse impression qu'ils le sont devenus. Ils sont journalistes et avocats. Et la surveillance pratiquée à grande échelle par les États-Unis entrave gravement leur travail, selon un rapport publié conjointement hier par l'ONG Human Rights Watch (HRW) et l'Union américaine pour les libertés civiles (ACLU).

Basé sur des entretiens avec 92 journalistes, avocats, anciens et actuels responsables gouvernementaux, le rapport de 120 pages conclut que cette surveillance constitue une menace pour la pratique du journalisme, du droit et de la démocratie.

«Les États-Unis se présentent comme le modèle de liberté et de démocratie, mais leurs propres programmes de surveillance menacent les valeurs qu'ils prétendent incarner», estime l'auteur de l'étude, Alex Sinha. «Les États-Unis devraient enfin admettre que leurs programmes de surveillance massifs portent atteinte à de nombreux droits d'une importance cruciale.»

Peur de l'État

À en croire le rapport, de nombreux journalistes américains ont été surpris et choqués par les révélations de l'ancien consultant de la NSA Edward Snowden, ne soupçonnant pas l'ampleur de la surveillance de leur gouvernement.

«Il y a un an, dans notre secteur d'activité, nous craignions que le gouvernement chinois tente de se donner un avantage en collectant ce que nous n'avions pas publié. Aujourd'hui, cette crainte vient loin derrière notre propre gouvernement», affirme un journaliste qui couvre la sécurité nationale.

Bart Gellman, l'un des collaborateurs du Washington Post qui a signé des articles basés sur les documents fournis par Snowden, évoque de son côté l'effet négatif de la surveillance sur sa productivité.

«Je pourrais faire le double de mon travail si je ne consacrais pas autant d'efforts à encoder et à sécuriser le flux d'information entre les ordinateurs liés au réseau et ceux qui en sont isolés», confie-t-il.

La surveillance du gouvernement rend également les sources des journalistes beaucoup plus craintives. D'autant que l'administration Obama mène une guerre sans précédent contre les lanceurs d'alerte et autres sources.

«Le fait que huit causes criminelles aient été lancées contre des sources [sous l'administration Obama], contre trois auparavant, n'est pas passé inaperçu auprès de nous et de nos sources», souligne Charlie Savage, journaliste au New York Times.

Et l'auteur du rapport d'ajouter: «Cette situation a un effet immédiat sur la capacité du public à obtenir des informations importantes concernant les activités du gouvernement et sur la capacité des médias à servir d'instance de contrôle de celui-ci.»

Confidentialité menacée

La surveillance du gouvernement soulève également des craintes chez les avocats et leurs clients, qui s'interrogent sur la confidentialité de leurs communications.

«Auparavant, je pouvais rassurer les clients en leur disant que le gouvernement manquait de ressources pour se concentrer sur eux. Mais aujourd'hui, il a des ressources: il peut se concentrer sur tout le monde», dit Ron Kuby, avocat de la défense spécialisé dans les droits civils.

L'inquiétude est particulièrement aiguë chez les avocats qui représentent des ressortissants étrangers.

«Nous avons peur que nos communications avec les témoins étrangers soient surveillées», affirme l'avocat Jason Wright, qui défend des détenus de Guantanamo.

HRW et l'ACLU appellent le gouvernement américain à réformer ses programmes de surveillance «afin de garantir qu'ils sont ciblés et légitimes, qu'ils augmentent la transparence en matière de sécurité nationale et de surveillance». Les deux organisations recommandent en outre une meilleure protection pour les lanceurs d'alerte et les médias.