Trente et un ans en prison, dont 29 en isolement; tel est le triste bilan de Robert Hillary King, enfermé en 1969 pour des crimes qu'il n'avait pas commis. Libéré en 2001, cet ancien Black Panther consacre désormais sa vie à dénoncer le système carcéral américain. Il sera à Montréal la semaine prochaine.

Robert Hillary King pourrait être totalement désabusé. Voire carrément dingo. Il pourrait en vouloir aux Blancs. Aux autorités. À l'Amérique au grand complet. Mais il a choisi une autre voie.

Depuis sa libération en 2001, après 31 ans de prison, dont 29 ans dans une cellule d'isolement, cet ancien bagnard du pénitencier d'Angola préfère mener une croisade pacifique pour dénoncer les abus du système correctionnel américain.

«Après 31 ans derrière les barreaux, je savais que je ne pouvais pas retourner à un mode de vie normal, explique Robert King, avec un fort accent du Deep South. Alors j'ai choisi de me consacrer à cette cause. Je me suis dit que si Angola m'avait libéré, Angola ne serait pas libéré de moi!»

Situé en Louisiane, dans une ancienne plantation d'esclaves, le pénitencier d'Angola est considéré comme l'une des prisons les plus sanglantes des États-Unis. Le film Dead Man Walking, qui s'y déroule, n'est qu'une bluette sentimentale à côté de la réalité. On y rapporte depuis longtemps des cas de meurtres, de viols, d'esclavage sexuel et de sévices en tous genres de la part des prisonniers et des gardiens.

C'est là que Robert Hillary King a été transféré en 1972 après avoir été accusé du meurtre d'un gardien de prison, un crime qu'il n'avait pas commis. C'est là qu'il a subi l'injustice à répétition, le harcèlement physique, psychologique et le racisme institutionnalisé. C'est là qu'il fut à nouveau accusé de meurtre en 1973, et condamné au terme d'un procès bâclé.

S'il avait été blanc, les choses se seraient (peut-être) passées différemment. Mais il était noir et les autorités du pénitencier avaient son numéro.

Son affiliation avec l'organisation des Black Panthers a certainement contribué à cet acharnement judiciaire. Le mythique «parti» afro-américain avait en effet une section à la prison d'Angola. Ses deux fondateurs, Herman Wallace et Albert Woodfox, ont subi le même sort que Robert King. Considérés comme des radicaux, les trois prisonniers ont été jetés, dans une cellule de 6 pieds sur 9 pieds, sans fenêtre, à l'écart du monde. Leur cause, devenue célèbre avec le temps, leur a valu le surnom des «Angola 3».

«Pour les autorités du pénitencier, j'étais un agitateur, raconte Robert King, 71 ans. J'étais progressiste. Je voulais du changement. C'est pour cette raison qu'ils m'ont laissé aussi longtemps en isolement: 23 heures sur 24, parfois 24. Sept jours sur sept. Pendant 29 ans. Ce fut une terrible expérience.»

Comment a-t-il fait pour ne pas devenir fou? Désespéré? Son engagement, répond-il. «J'étais politiquement conscient de ce qui se passait. Je comprenais que cette situation ne venait pas de nulle part. Que c'était quelque chose de culturel. Ça m'a permis de mettre les choses en perspective et de traverser l'épreuve.»

Situation alarmante

Libre depuis 13 ans, il parcourt aujourd'hui l'Amérique pour sensibiliser la population à un problème que beaucoup voudraient ignorer.

Malgré les récents efforts du ministre américain de la Justice Eric Holder pour réformer le système pénal américain, la situation est encore alarmante, affirme Robert King.

Outre le nombre disproportionné de détenus de race noire, l'industrie carcérale américaine ne serait, selon lui, qu'une forme moderne d'esclavage, où les détenus travaillent comme des forçats pour 4 ou 6 cents de l'heure, pour le seul profit des pénitenciers.

À plus petite échelle, Robert King tente par ailleurs de faire libérer son vieux compagnon Albert Woodfox, qui purge sa 42e année en confinement solitaire. Ce dossier très compliqué piétine, malgré l'appui d'Amnistie internationale et diverses subventions individuelles.Le troisième des Angola 3, Herman Wallace, a pour sa part disparu en octobre dernier, seulement trois jours après sa libération. Cette mort absurde, survenue après 41 ans d'isolement, a laissé un drôle de goût dans la bouche de Robert Hillary King.

«Ce fut une victoire aigre-douce», conclut-il.

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Robert King sera à Montréal le vendredi 21 février pour présenter le documentaire sur sa vie - Hard Time - en compagnie du réalisateur Ron Harpelle. La projection sera suivie d'une discussion. Au Musée des beaux-arts, à 19h.

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Selon le bureau des statistiques de la justice américaine, un Afro-Américain sur trois est susceptible d'aller derrière les barreaux une fois dans sa vie.