«Honte au Congrès!», vocifère Nyah. «Laissez les vétérans en paix!», répond la foule. Au milieu de la paralysie américaine, un mémorial de Washington s'est transformé en champ de bataille entre des employés du gouvernement et des élus, avec pour arbitres... des anciens combattants.

«Même à notre retour de la Guerre de Corée, on n'avait pas reçu pareil accueil!»: Gene Winslow et ses 82 ans tout en souplesse ne sait pas trop quoi penser de la ferveur partisane que suscitent sa venue et celle de ses frères d'armes au Mémorial de la Seconde Guerre mondiale, une rotonde en granit au milieu de laquelle trône un bassin.

Fermé en raison de la paralysie du gouvernement américain et du congé forcé auquel les employés ont été condamnés, le mémorial a tout de même reçu la visite mardi d'une poignée de vétérans et d'élus républicains, dont Michele Bachmann, du Tea Party, qui ont forcé les barrières pour rendre hommage aux anciens combattants.

Même chose mercredi. Mais, cette fois, l'explication s'est faite tout en douceur avec Carol Johnson et Karen Cucurullo, les deux employées en uniforme vert olive préposée à la sécurité des lieux.

«On a considéré que cette commémoration entrait dans le cadre du Premier amendement» de la Constitution qui garantit la liberté d'expression, sourit Carol Johnson.

«De toute manière, si la paralysie se poursuit, moi, demain, je suis en congé...», ajoute-t-elle.

Et de laisser plusieurs dizaines d'anciens combattants de la Guerre de Corée et de la Seconde Guerre mondiale se laisser accompagner jusqu'au centre du mémorial pour entonner «Amazing Grace», un hymne qui évoque la rémission des pêchés par la foi en Dieu, et rendre hommage à leurs camarades tombés.

Pourtant les anciens combattants sont bien en peine de capter l'attention des rares touristes et de la presse: tous les yeux sont rivés sur la demi-douzaine d'élus républicains de la Chambre des représentants venus, à les en croire, «remercier les anciens combattants pour leurs services rendus à la nation».

«Les élus, ces grands bébés»

D'aucuns accusent précisément cette frange de la Chambre basse du Congrès d'être à l'origine de la paralysie gouvernementale en raison de son refus de voter un budget qui ne saborderait pas la réforme du système de santé de Barack Obama.

A l'image de Nyah Potts, employée dans la cantine d'un bâtiment du gouvernement. John «Boehner (le président républicain de la Chambre) doit nous laisser retourner au travail! Nous avons des familles à nourrir! Honte au Congrès!», lance-t-elle, encouragée par une douzaine d'autres protestataires.

«Laissez les vétérans se recueillir en paix!», répond un homme à la casquette vissée sur le crâne.

Mais, loin d'attiser les rancoeurs, les élus républicains se font tout petits.

Louie Gohmert, un élu du Texas assure à l'AFP qu'il «ne veut pas se faire de la publicité» sur le dos des vétérans. Son collègue Randy Neugebauer renchérit: «nous, les républicains, faisons tout pour que le gouvernement reprenne ses activités».

Pas de quoi convaincre Gene Winslow, un vétéran venu du Missouri, qui juge que les élus du Congrès «quels qu'ils soient sont des grands bébés. Il faut les virer et que d'autres prennent leur place!».

Après la photo de famille, les anciens combattants se dispersent, graves. Certains se recueillent, loin des algarades.

Nick Kennedy, un ancien de la Seconde Guerre mondiale calé dans un fauteuil roulant, cligne des yeux dans le chaud soleil d'automne et préfère voir le bon côté des choses.

«On est vernis! Tous ces gens sont venus pour nous remercier. Ca veut dire beaucoup», soupire-t-il.