Ce matin, pour la troisième fois de sa vie, Troy Davis s'est levé en sachant que son exécution par injection mortelle était programmée en début de soirée, à 19h pour être précis. À deux reprises, celui qui est devenu à 42 ans un symbole international de la lutte contre la peine de mort a été sauvé in extremis, la dernière fois par la Cour suprême des États-Unis.

Or, tout indique que Troy Davis a épuisé hier matin son dernier recours. Le comité des grâces de Géorgie a en effet refusé de commuer en peine de prison à vie sa condamnation à mort pour le meurtre de Mark MacPhail, policier blanc abattu par deux balles dans le stationnement d'un Burger King de Savannah, en 1989.

Selon les experts, ni le gouverneur de Géorgie ni la Cour suprême ne peuvent revenir sur cette décision qui a soulagé la famille du policier et consterné les partisans de l'Afro-Américain. Parmi ces derniers se trouvent non seulement des adversaires de la peine de mort, y compris l'ancien président Jimmy Carter et le pape Benoît XVI, mais également des partisans de ce châtiment, dont l'ex-directeur du FBI William Sessions et l'ex-représentant républicain de Géorgie Bob Barr.

«Il a eu amplement le temps de prouver son innocence, et il n'est pas innocent», a déclaré la veuve du policier, Joan MacPhail-Harris, après la décision du comité des grâces.

Les avocats et les partisans de Troy Davis affirment au contraire que la Géorgie pourrait exécuter ce soir un innocent. Les zones d'ombre sont nombreuses, font-ils valoir. En voici quelques-unes: sept des neuf témoins qui ont désigné Davis comme le tireur se sont plus tard rétractés sous serment; plusieurs d'entre eux ont déclaré avoir été forcés par la police à incriminer Davis.

«Violation des droits»

Certains témoins ont par ailleurs désigné un autre suspect. Il s'agit de Sylvester Coles, le premier des témoins à avoir montré du doigt Davis. Comme Davis, Coles était présent dans le stationnement du Burger King le soir où Mark MacPhail est intervenu pour se porter au secours d'un sans-abri battu par trois hommes.

L'arrivée de MacPhail avait fait fuir les trois agresseurs. Poursuivi par le policier, l'un d'eux s'était retourné et l'avait abattu avec un pistolet.

L'arme du crime n'a cependant jamais été retrouvée et aucune empreinte digitale ou trace d'ADN n'a été relevée.

«Il faut être très clair: il s'agit d'une violation très grave des droits civiques et des droits de l'homme», a déclaré le pasteur Raphael Warnock lors d'une conférence de presse, hier, dans l'ancienne église de Martin Luther King à Atlanta.

En plus d'avoir été sauvé in extremis à deux reprises dans la soirée où il devait être exécuté, Troy Davis a obtenu un sursis quelques jours avant une de ses exécutions programmées.

L'État de Géorgie a procédé à 51 exécutions depuis le rétablissement de la peine de mort aux États-Unis, en 1976.

Quand les yeux errent

L'exécution de Troy Davis, si elle a lieu ce soir comme prévu, interviendra au moment où la fiabilité des témoignages oculaires est remise en question aux États-Unis.

Dans une décision unanime rendue fin août, la Cour suprême du New Jersey a notamment reconnu le «manque troublant de fiabilité dans les identifications par témoins oculaires».

La décision de la plus haute instance du New Jersey permettra aux accusés de contester plus facilement l'admissibilité de certains témoignages oculaires. Plusieurs États américains pourraient suivre cet exemple. Une étude publiée lundi par l'American Judicature Society a par ailleurs établi que les erreurs d'identification dépendaient souvent de la procédure adoptée pendant les séances de photos.

Les erreurs étaient notamment moins fréquentes lorsqu'un agent non impliqué dans un dossier s'assurait de montrer les images au témoin de façon successive plutôt que simultanée.

«Il est inconcevable que le comité des grâces ait refusé» d'empêcher l'exécution, a réagi Amnesty International.

En France, l'ancien ministre de la Justice Robert Badinter, père de l'abolition de la peine de mort dans le pays il y a 30 ans, a prévenu: «Si demain on l'exécute, ce sera une tache sur la justice des Etats-Unis». Martine Aubry, candidate à la primaire PS pour la présidentielle 2012, a jugé «effarant» que «l'on puisse décider qu'un homme puisse être exécuté par la main d'une autre homme».

La puissante organisation américaine de défense des droits civils ACLU a appelé à «une grève générale des personnels pénitentiaires en Géorgie» et Amnesty a organisé une manifestation mardi à 19h00 à Atlanta. Des organisations anti-peine de mort ont prévu une veillée.

La mère de Mark MacPhail, le policier tué en 1989 dans la ville de Savannah, s'est en revanche félicitée de la décision du comité des grâces. «C'est ce que nous voulions», a déclaré Anneliese MacPhail sur la chaîne CNN.

Interrogée sur la possibilité qu'elle pardonne un jour à Troy Davis, elle a répondu: «Pas encore, peut-être un jour. Je ne sais pas. Maintenant je ne peux pas».

Lors du procès, neuf témoins ont désigné Troy Davis comme l'auteur du coup de feu mais l'arme du crime n'a jamais été retrouvée et aucune empreinte digitale ou ADN n'a été relevée. Depuis, sept témoins se sont retractés.

La Cour suprême avait offert au condamné la possibilité, en 2009, de bénéficier d'une nouvelle audience. Plusieurs témoins avaient raconté, sans convaincre le juge fédéral, comment la police les avait persuadés à l'époque de désigner le jeune Noir.

Photo: Reuters

Des volontaires de Amnesty International ont livré au comité des grâces de Géorgie des pétitions signées en faveur de la clémence pour Troy Davis.