Un concert d'envergure pour un moment historique. C'est ce à quoi ont eu droit les centaines de milliers d'Américains qui se sont rassemblés hier devant le Lincoln Memorial, à Washington, pour assister au spectacle We Are One. Le concert, qui réunissait le gratin artistique américain, a officiellement lancé la grande fête inaugurale qui culmine demain avec la prestation de serment de Barack Obama.

Il y avait Shawn, une épidémiologiste de 30 ans qui a roulé neuf heures depuis son Alabama natal pour voir de ses propres yeux une réalité à laquelle elle n'arrive pas encore à croire: l'arrivée du premier président noir à la Maison-Blanche.

 

«Ça me paraît irréel, je ne serai rassurée qu'après avoir vu Barack Obama prêter serment. C'est pour ça que je suis venue, pour le voir», a confié la jeune femme noire, hier, en trépignant de froid devant la gigantesque scène du Lincoln Memorial.

Il y avait aussi Ginette Shady et sa fille Sarah, originaires d'une petite ville de l'État de New York. Pour elles, Barack Obama symbolise surtout la fin d'une longue période de désenchantement à l'égard de la politique.

Responsable des communications pour une firme de haute technologie, Ginette avait la bouche pleine de superlatifs pour décrire son prochain président: «Il est intègre, honnête, dévoué à sa famille. Sa femme et lui sont si proches! C'est une bouffée d'air frais pour notre pays. Je prie Dieu pour qu'on ne lui trouve pas une maîtresse dans le placard!»

Et puis il y avait Patrick, Vicki et leurs deux filles de 6 et 3 ans. Une famille tout emmitouflée dans des couvertures, arrivée samedi d'un petit bled du Mississippi. Il y a seulement deux ans, quand Patrick faisait campagne pour le poste de président de son district scolaire, il s'est fait dire à plusieurs reprises: «Ce n'est pas un job de Noir.»

«Maintenant, plus personne ne peut dire ça. D'une certaine façon, nous sommes tous à la Maison-Blanche», a-t-il dit hier.

Un moment historique

Les centaines de milliers de personnes qui ont afflué à Washington au cours des derniers jours pour assister à l'investiture présidentielle ont patiemment attendu le grand concert qui devait donner le coup d'envoi des festivités.

Venus du Missouri, du Colorado, du Kansas, de la Floride ou même de l'Alaska, ils formaient une foule compacte sur l'esplanade de 3km qui va du Lincoln Memorial jusqu'au Capitole. C'est devant le monument dédié au président qui a aboli l'esclavage que Martin Luther King avait lancé son célèbre «I have a dream», en 1963. «Son rêve s'est maintenant réalisé», faisaient remarquer plusieurs spectateurs hier.

Avertis qu'il valait mieux arriver tôt, certains étaient sur place cinq heures avant le début du spectacle, munis de leurs foulards de laine et de leurs couvertures.

La plupart n'avaient jamais assisté à l'intronisation d'un président de leur vie. Mais celle-ci, ils ne l'auraient ratée pour rien au monde. «C'est un moment unique dans l'histoire, je veux pouvoir dire que j'étais là», expliquaient-ils.

Ils ont chanté, sauté et dansé au son de chansons rock, gospel ou country rendues par une impressionnante brochette d'artistes, dont Bruce Springsteen, U2, Beyoncé, Jon Bon Jovi et Stevie Wonder.

Par moments, ils ont aussi écouté, l'air concentré, des extraits de discours de grands présidents américains.

C'est l'acteur Tom Hanks qui a lu le fameux «Je refuse d'être un esclave et je refuse d'être un maître» d'Abraham Lincoln devant les centaines de milliers de spectateurs recueillis.

Franklin D. Roosevelt, Dwight Eisenhower, John F. Kennedy et Ronald Reagan ont aussi été cités, dans la lignée présidentielle que compte suivre Barack Obama.

Prenant finalement le micro, ce dernier a promis aux Américains qu'il les amènerait «chaque jour dans le bureau Ovale». «Peu de générations ont dû faire face à des défis aussi difficiles que ceux auxquels nous faisons face», a-t-il lancé, avant d'assurer qu'il est néanmoins plein d'espoir.

De la fébrilité dans l'air

Le concert We Are One a officiellement lancé la grande fête inaugurale qui culminera demain midi, quand Barack Obama deviendra officiellement le 44e président des États-Unis.

Il y a maintenant beaucoup de fébrilité dans l'air de la capitale. Les visiteurs venus assister à la fête remplissent les restaurants, achètent des babioles signées Obama et se font prendre en photo devant les lieux mythiques de Washington. La police est omniprésente et des jeeps militaires bordent les rues interdites aux autos.

Dans la foule d'hier, ils étaient nombreux à parler de moralité, d'éthique et de justice, mais aussi du legs négatif laissé par George W. Bush. «Ces huit années ont été horribles», insistait Shawn, la jeune épidémiologiste de Georgia, en Alabama.

«Enfin, nous n'aurons plus à prétendre que nous sommes canadiens quand nous serons en voyage», a dit Claudia, venue de Virginie, avant d'ajouter: «Dites aux Canadiens de nous donner une autre chance.» Voilà, c'est chose faite.

À la sortie du spectacle, une marée humaine s'est répandue le long de la 17e Rue, émaillée des inévitables vendeurs de macarons, tuques et t-shirts. À un endroit, un groupe de militants religieux brandissait d'immenses affiches condamnant l'avortement et l'homosexualité. Deux femmes se sont arrêtées pour s'embrasser ostensiblement devant les manifestants. Change has come, comme ils disent ici.