Des détenus battus, attachés des heures durant, humiliés, enfermés des années dans de minuscules cellules sans lumière du jour puis incapables de reconstruire leurs vies après avoir été relâchés: une étude américaine montre les ravages de Guantanamo.

Les deux auteurs de cette étude révélée mercredi, des chercheurs de l'université de Berkeley (Californie, ouest) ont appelé le nouveau président américain à installer une «commission indépendante et neutre» pour faire la lumière sur les responsabilités.

Les spéculations se multiplient autour d'une fermeture très rapide du camp de Guantanamo (Cuba) qui compte aujourd'hui encore quelque 250 prisonniers, promise par Barack Obama pendant sa campagne, mais le président élu, qui prendra ses fonctions le 20 janvier, n'a jamais précisé quelle méthode il entendait employer.

Il n'a pas non plus évoqué d'éventuelles réparations que les Etats-Unis pourraient fournir à ceux qui ont été injustement enfermés.

Le travail de Laurel Fletcher et Eric Stover, soutenus par le Centre pour les droits constitutionnels qui défend de nombreux détenus, donne une idée du calvaire vécu par les quelque 800 hommes passés par Guantanamo depuis début 2002, dont une vingtaine seulement ont été formellement inculpés.

Soixante-deux anciens détenus de neuf pays différents ont été interrogés anonymement sur leurs conditions de détention et d'interrogatoires au moment de leur arrestation en Afghanistan puis après leur transfert à Cuba.

«Le cauchemar des détenus ne s'arrête pas avec leur libération: ces hommes qui n'ont jamais été inculpés d'aucun crime et à qui on n'a jamais donné l'occasion de laver leur honneur souffrent d'un "stigmate Guantanamo" durable et ne parviennent pas à retrouver du travail», a expliqué Laurel Fletcher lors d'une conférence de presse mercredi.

Elle a évoqué des hommes rejetés par leurs communautés et leurs familles.

«Nous traînons toujours ce boulet d'être pris pour des terroristes», assure un ancien détenu cité dans l'étude.

«Tout ce que je possède tient dans un sac plastique que je transporte tout le temps avec moi, et je dors chaque nuit dans une mosquée différente, c'est ma situation», raconte un autre.

En plus des conséquences concrètes de leur détention à Guantanamo, les anciens détenus ont décrit aux chercheurs leurs cauchemars et leurs angoisses liés à ce qu'ils ont vécu, comme ceux qui ont été attachés pendant des heures dans une position inconfortable avec de la musique à fond et une lumière très intense.

«Au début, vous ne sentez rien puis après un moment (...), vous commencez à avoir des crampes aux cuisses, aux fesses, aux mollets et lentement, vos jambes s'engourdissent (...) et même quand vous fermez les yeux, vous pouvez toujours voir cette lumière et vous commencez à halluciner», détaille l'un d'entre eux.

Des témoignages avaient déjà été recueillis, notamment depuis 2004, année à partir de laquelle des avocats civils ont eu le droit d'assister les détenus. Mais jamais en si grand nombre.

Eric Stover a décrit «un effet cumulatif» des différents traitements auxquels les condamnés étaient soumis, «entraves, isolation prolongée, humiliation sexuelle, exposition à un froid extrême, etc».

«Tout ceci se déroulait dans la durée, de manière répétitive, et nous soulevons la question (...) de savoir si cet effet cumulatif, dans de nombreux cas, n'atteignait pas le niveau de la torture» telle que décrite dans les lois internationales.

Comme Mme Fletcher et le Centre pour les Droits constitutionnels, il a insisté mercredi pour qu'aucun «pardon, amnistie ou n'importe quelle autre mesure» ne vienne brouiller le travail de la commission et la recherche des responsabilités.

«Nous ne pouvons pas glisser ce chapitre sombre de notre histoire sous le tapis, en fermant simplement le camp de Guantanamo», a commenté M. Stover