Prise en étau entre ses alliés de l'OTAN et la Russie, la France a reporté mardi «jusqu'à nouvel ordre» la livraison du premier navire de combat Mistral commandé par Moscou, suspendue par Paris au règlement de la crise en Ukraine.

Le président François Hollande «considère que la situation actuelle dans l'est de l'Ukraine ne permet toujours pas» cette livraison et «il a donc estimé qu'il convenait de surseoir, jusqu'à nouvel ordre» à son autorisation, a déclaré l'Élysée dans un très bref communiqué.

La décision a été accueillie par Moscou avec une prudence teintée de mise en garde.

La Russie ne va pas «pour l'instant» poursuivre en justice la France, a réagi un vice-ministre russe de la Défense, Iouri Borissov. «Nous allons attendre avec patience (...) Pour l'instant, nous n'intentons aucune action», a affirmé M. Borissov, cité par l'agence publique Ria Novosti. Toutefois, si la France «ne nous livre pas (le navire), nous allons faire un procès» et lui réclamer une amende «conformément au contrat», a-t-il averti, cité cette fois par l'agence Tass.

Selon une source proche du dossier à Paris, le communiqué de l'Élysée a justement été publié mardi pour répondre aux «échéances du contrat». Mais aucune précision sur ces échéances ni sur les éventuelles pénalités auxquelles s'expose la France n'a été fournie par les autorités françaises. Pas plus que sur le devenir des marins russes envoyés en France pour se former au navire et le ramener en Russie.

Le premier Mistral, le Vladivostok, devait initialement être remis à Moscou mi-novembre, dans le cadre d'un contrat de 1,2 milliard d'euros (près de 1,7 milliard de dollars) signé en juin 2011 entre la Russie et le constructeur naval DCNS sous l'ancien président de droite Nicolas Sarkozy.

Mais l'opération est au coeur d'un imbroglio diplomatico-militaire depuis que M. Hollande, son successeur socialiste, a décidé début septembre de lier cette livraison, très critiquée notamment aux États-Unis, au règlement politique de la crise en Ukraine.

Le chef de l'État français a répété à plusieurs reprises ces dernières semaines que le cessez-le-feu prévu dans l'accord signé à Minsk le 5 septembre devait être «entièrement respecté» en Ukraine avant que Paris ne procède à la livraison du Vladivostok.

Or la situation sur le terrain, dans l'est de l'Ukraine, s'est de nouveau dégradée. «Les conditions d'une livraison ne sont pas réunies», a réaffirmé mardi le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius.

La France «dans l'impasse», selon Moscou

Les Mistral sont des navires polyvalents, pouvant transporter des hélicoptères et des chars, ou accueillir un état-major embarqué.

Mardi après-midi sur les quais plongés dans le brouillard du port de Saint-Nazaire (ouest) où a été construit le bâtiment, le Vladivostok pouvait être aperçu, mais personne n'était visible à bord.

Non loin de là, le bateau-école russe Smolny est toujours à quai. Plusieurs dizaines de marins russes en uniforme semblaient s'entrainer, certains au garde-à-vous, d'autres marchant au pas, sur le pont et à quai, a constaté un journaliste de l'AFP.

Le second Mistral vendu à la Russie, le Sébastopol, doit théoriquement être livré à la Russie en octobre 2015. Mis à flot dans la nuit de jeudi à vendredi, ce bâtiment est encore en cours de construction.

Pour le président Hollande, le dossier Mistral, hérité de son prédécesseur, est un véritable casse-tête.

Outre le coût financier potentiel, l'annulation de la livraison des navires risque de placer la France dans la difficile position du partenaire qui n'honore pas ses contrats. «Paris se met dans l'impasse et porte préjudice à sa réputation en tant que partenaire fiable sur le marché moderne des armes», a réagi le vice-président de la Commission pour la défense à la douma, Igor Barinov, cité par Tass.

À l'inverse, la remise à la Russie du navire est assurée de susciter l'émoi au sein de l'OTAN, notamment en Pologne et dans les pays baltes, qui s'estiment en première ligne face à la Russie et redoutent de faire à leur tour les frais de son imprévisibilité.

Le dilemme fait également débat en France. La position du président y est critiquée par l'extrême droite et les communistes, favorables à une livraison tout comme Nicolas Sarkozy. Au contraire d'Alain Juppé (opposition), ex-chef de la diplomatie française, qui soutient François Hollande en jugeant l'attitude de la Russie en Ukraine «pas acceptable».