Isolé internationalement, le régime de l'apartheid a compté jusqu'au bout des alliés stratégiques : les États-Unis et la Grande-Bretagne de la Guerre froide, ainsi qu'Israël, mis au ban de sa région tout comme l'était l'Afrique du Sud, rappellent des experts.

À la cérémonie d'hommage à Mandela mardi, Israël a brillé par son absence, soulignée par l'annonce erronée de la présence dans le stade du président Shimon Peres, qui a dû y renoncer, officiellement pour cause de grippe.

M. Peres avait été pressenti pour pallier la défection, en raison du coût jugé exorbitant du voyage, du premier ministre Benyamin Nétanyahou, dénoncée par les médias israéliens comme une occasion manquée de solder une partie du passif.

«Nous ne sommes pas aimés en Afrique du Sud. La population noire se souvient d'Israël comme d'un pays qui a coopéré avec l'épouvantable régime d'apartheid», résume le quotidien Maariv.

Shimon Peres, qui a relevé «le prix personnel très important payé par Mandela pendant ses années de prison» (1962-1990), était durant cette période l'un des principaux artisans de la coopération avec l'Afrique du Sud.

«En tant que ministre de la Défense (1974-1977), Peres était impliqué», relève l'ex-ministre Yossi Beilin, directeur du ministère des Affaires étrangères à la fin des années 1980. «Israël ne respectait pas du tout la résolution de l'ONU de 1977» imposant un embargo sur les livraisons d'armes.

«Nous prétendions respecter des contrats existants, mais en fait nous contournions l'embargo, et cela a duré jusqu'en 1992», précise le diplomate Alon Liel, qui fut ambassadeur à Pretoria sous la présidence Mandela. «C'était une sorte d'alliance à très forte dimension militaire».

Ce lien privilégié remonte aux années 1970, indique un haut responsable israélien qui a requis l'anonymat : «Après la guerre de 1973 et l'embargo pétrolier, sous la pression des pays arabes, les États africains nous ont tourné le dos, contrairement à l'Afrique du Sud».

Le quotidien Haaretz affirme même que «le régime de l'apartheid a sauvé l'industrie de défense israélienne» en 1988 avec l'achat de 60 avions Kfir pour un montant record de 1,7 milliard de dollars, soulignant que l'Afrique du Sud était un «marché captif» à cause des sanctions.

«En cette ère d'alliance entre États isolés, les relations étaient fondées sur le sang, la race et l'argent», estime le journal : «Ce qui comptait, c'était la sécurité, et peu importe la ségrégation».

Reagan et Thatcher contre les sanctions

Des intérêts similaires ont conduit les États-Unis et la Grande-Bretagne à ménager un régime crédité de son anticommunisme, face à la menace soviétique.

«Jusqu'aux années 1970, la Grande-Bretagne était de loin le principal partenaire commercial de l'Afrique du Sud», remarque Saul Dubow, professeur d'histoire africaine à l'Université Queen Mary de Londres.

Hostile aux sanctions commerciales, la première ministre conservatrice Margaret Thatcher (1979-1990) «est parvenue à les diluer au sein du Commonwealth et de l'Union européenne», rappelle-t-il.

Mme Thatcher n'a en revanche pas pu empêcher la propagation dans la société civile du mouvement anti-apartheid, culminant avec le concert de Wembley en 1988 pour les 70 ans de Mandela.

Le président américain Ronald Reagan, autre chantre de la révolution conservatrice, a lui aussi tenté de bloquer les sanctions votées par le Congrès dans les années 1980 en y opposant son veto.

Mais, fait rarissime, le Congrès a passé outre, adoptant des sanctions financières et un arrêt des liaisons aériennes qui ont contribué à la fin de l'apartheid.

Les trois ex-présidents américains vivants ont participé avec Barack Obama aux cérémonies mardi, à l'exception de George Bush père, en fonctions lors de l'abolition de l'apartheid, qui a inauguré mercredi son compte twitter en confiant son regret de n'avoir pu se joindre à l'illustre délégation.

Survivance de l'époque où son mouvement était accusé d'être un suppôt de Moscou, le nom de Mandela n'a été retiré qu'en 2008 de la liste terroriste américaine.

C'est encore l'anticommunisme, combiné à leur statut de quasi-paria dans leur région, qui a rapproché l'Afrique du Sud et Taïwan, gouverné par le Kuomintang nationaliste.

«Le gouvernement de la République de Chine faisait tout ce qu'il pouvait pour réduire son isolement diplomatique», a confirmé sous le couvert de l'anonymat un ancien responsable taïwanais responsable des contacts culturels avec Pretoria.

«Taïwan et l'Afrique du Sud échangeaient des ressources et des technologies», reconnaît également Loh I-cheng, ambassadeur à Pretoria de 1990 à 1997.