Pendant que Bernie Sanders s'adressait à des partisans dans une salle climatisée du centre-ville de Philadelphie, Melanie Foertch marchait sous une chaleur accablante en direction d'un parc où étaient réunis les plus endurcis des supporteurs du sénateur du Vermont.

L'un et l'autre étaient engagés dans une sorte de dialogue de sourds. Au centre-ville, Sanders appelait ses partisans à voter pour Hillary Clinton en novembre afin de ne pas contribuer à l'élection de Donald Trump, « une brute et un démagogue », selon ses mots. Plusieurs de ses partisans ont accueil cet appui en faisant entendre des huées.

Au même moment, le long de Broad Street, Foertch, une enseignante de l'Ohio, refusait non seulement de reconnaître la défaite du sénateur du Vermont dans la course à l'investiture démocrate, mais également d'envisager la possibilité de se ranger derrière l'ancienne secrétaire d'État.

« Bernie Sanders est le candidat le plus fort et il est encore temps de changer l'issue des primaires », a-t-elle déclaré en tenant à la main une des affiches électorales de Bernie Sanders visibles depuis la veille aux quatre coins de Philadelphie.

« Encore temps ? », a-t-on répété sur un ton étonné.

« Oui, le vote des délégués n'aura lieu que demain », a-t-elle répondu, en énumérant les raisons pour lesquelles l'investiture d'Hillary Clinton pourrait, selon elle, dérailler, dont les révélations de WikiLeaks sur le parti pris du Comité national démocrate et les plus récents sondages créditant Trump d'une avance sur la candidate.

DES HUÉES POUR CLINTON

Des milliers de partisans de Bernie Sanders se sont donné rendez-vous à Philadelphie durant la convention démocrate qui doit introniser Hillary Clinton pour l'élection présidentielle. Parmi ceux-ci, il y a ce qu'on peut appeler les « Berniacs », les supporteurs les plus convaincus ou acharnés du sénateur du Vermont, qui sont aujourd'hui prêts à divorcer d'avec leur candidat préféré plutôt que de suivre son appel en faveur de Clinton.

Certains d'entre eux se trouvaient hier à l'intérieur du Wells Fargo Center, site de la convention démocrate, où ils ont fait entendre des huées lorsque le nom de Clinton a été mentionné lors des premières interventions, y compris pendant la bénédiction. Luanne Inn, enseignante de la Virginie, faisait partie de ce groupe.

« Je veux qu'Hillary Clinton soit honorable et qu'elle renonce à l'investiture, a-t-elle déclaré. Je ne pense pas qu'elle ait assez d'intégrité pour le faire, cependant. Elle savait qu'elle serait la candidate, quoi qu'il arrive », a-t-elle ajouté, se disant « dégoûtée par la façon dont la course à l'investiture a été menée ».

En plus de faire entendre des huées, les délégués de Sanders de la Californie ont scandé des slogans : « Pas à vendre », « WikiLeaks » et « Comptez nos votes », une allusion au dépouillement des voix qui a suivi la primaire de leur État, remportée par Clinton. Certains ont appliqué du ruban adhésif bleu sur leur bouche ou brandi des affiches illustrant leur opposition au Partenariat transpacifique, un accord de libre-échange auquel Clinton s'est opposé après l'avoir vanté.

Sanders avait pourtant envoyé un texto à ses partisans leur demandant de se comporter de façon respectueuse à l'intérieur du Wells Fargo Center. Les délégués de Sanders entendent cependant continuer à exprimer leur mécontentement aujourd'hui, à l'occasion du vote qui doit officialiser l'investiture de Clinton.

DES VOTES POUR LE PARTI VERT ?

En attendant, les « Berniacs » n'aiment pas entendre dire qu'ils pourraient contribuer à l'élection de Trump à la présidence s'ils ne votent pas pour Clinton. La plupart d'entre eux lui préféreront Jill Stein, candidate du Parti vert, en novembre.

« Les gens me disent qu'un vote pour quelqu'un d'autre qu'Hillary est un vote pour Trump. Mais ce n'est pas vrai », a dit Erika Sitzer, employée de banque de la Caroline du Nord. « Un vote pour Trump est un vote pour Trump. Et si le Parti démocrate avait une candidate assez forte pour se tenir sur ses deux jambes, il n'aurait pas besoin d'utiliser la peur pour essayer de changer mon vote. »

« Je refuse d'endosser la responsabilité de la victoire de Trump », a pour sa part déclaré Dylan Ramos, un étudiant d'Hawaii. « Je refuse qu'on rejette la responsabilité de la victoire de Trump sur les partisans de Bernie Sanders », a-t-il ajouté, soulignant que le sénateur du Vermont récoltait de meilleurs scores que Clinton face à Trump selon les sondages.

Les « Berniacs » retiendront l'attention des médias cette semaine à Philadelphie, à l'intérieur et à l'extérieur du Wells Fargo Center. Mais ils ne représenteraient pas la majorité des partisans du sénateur du Vermont, loin de là. Selon un sondage réalisé par le Pew Research Center et publié hier, 90 % des électeurs qui ont voté pour Sanders lors des primaires et des caucus appuient désormais Clinton.

La parole aux ténors de la gauche démocrate

Après une journée tumultueuse au cours de laquelle les partisans de Bernie Sanders ont exprimé leur révolte, les plus grands ténors de la gauche démocrate, dont le sénateur du Vermont et sa collègue du Massachusetts Elizabeth Warren, ont fait entendre leur voix hier soir lors de la première soirée de la convention démocrate de Philadelphie. Faits saillants.

LA PEUR D'ÊTRE EXPULSÉS

Astrid Silva avait 4 ans lorsque ses parents ont quitté le Mexique et traversé la frontière des États-Unis de façon clandestine pour s'installer à Las Vegas. En 2012, une réforme de l'immigration lui a permis de régulariser son statut. Mais ses parents continuent de vivre aux États-Unis illégalement. « Nous vivons dans la peur constante que ma famille puisse être expulsée et séparée de ses petits-enfants », a déclaré la jeune femme de 28 ans. « Ainsi, quand Donald Trump parle d'expulser des millions de personnes, il parle de déchirer des familles comme la mienne. Hillary Clinton comprend que ce n'est pas ce que nous sommes comme pays. Je sais qu'elle se battra pour s'assurer que des familles comme la mienne restent ensemble. »

LA RÉVOLUTION CONTINUE

Ovationné pendant de longues minutes par ses partisans, Bernie Sanders a reconnu la « déception » de ceux-ci concernant le verdict de la course à l'investiture démocrate, tout en précisant : « Personne n'est aussi déçu que moi. » « Nous avons commencé une révolution politique pour transformer l'Amérique et cette révolution continue », a-t-il déclaré avant d'énumérer les enjeux de l'élection présidentielle, dont la sélection d'un nouveau juge de la Cour suprême, la hausse du salaire minimum et la lutte contre les changements climatiques. « Selon ces critères, tout observateur objectif conclura que, en fonction de ses idées et de son leadership, Hillary Clinton doit devenir le prochain président des États-Unis », a-t-il affirmé avant d'ajouter à la fin de son allocution que Clinton fera « une excellente présidente ».

« UNE SEULE PERSONNE VRAIMENT QUALIFIÉE »

Michelle Obama n'a pas prononcé le nom de Donald Trump. Mais c'est à lui qu'elle a fait référence en parlant de ceux qui ont mis en doute les origines et la religion de son mari. « Dans cette élection, l'enjeu consiste à déterminer qui aura le pouvoir d'influencer la vie de nos enfants, a dit la première dame. « Je suis ici ce soir parce qu'il n'y a qu'une personne à qui je fais confiance pour assumer cette responsabilité, une seule personne qui est, selon moi, vraiment qualifiée pour être président des États-Unis, et c'est notre ami Hillary Clinton. »



CONTRE L'AMÉRIQUE DE TRUMP



Elizabeth Warren, héroïne de la gauche démocrate, a consacré la majeure partie de son discours à une attaque en règle contre Donald Trump et ce qu'elle considère comme sa vision des États-Unis. « Trump pense qu'il peut remporter des votes en attisant la peur et la haine. En opposant voisin contre voisin, a déclaré la sénatrice du Massachusetts. C'est l'Amérique de Donald Trump. Une Amérique de peur et de haine. Les Blancs contre les Noirs et les Latinos. Les chrétiens contre les musulmans et les juifs. Les hétérosexuels contre les gais. Tout le monde contre les immigrants. La race, la religion, l'héritage, le genre - plus il y a de factions, mieux c'est », a-t-elle ajouté en affirmant que ces divisions n'aidaient que les puissants.

« VOUS ÊTES RIDICULES »

La phrase n'était probablement pas incluse dans le discours de Sarah Silverman. La comédienne originaire du New Hampshire venait d'expliquer combien elle était fière de la campagne présidentielle menée par son voisin du Vermont, Bernie Sanders, dont elle a été une partisane éloquente. Une fierté qui ne l'a cependant pas empêchée d'annoncer dans le même souffle qu'elle votera « avec enthousiaste » en novembre pour Hillary Clinton, une déclaration qui a incité les partisans de l'ancienne secrétaire d'État de scander « Hillary ! Hillary ! » et ceux de Bernie Sanders de répliquer « Bernie ! Bernie ! » C'est alors que Silverman a laissé tomber cette phrase que les médias ne manqueront pas de répéter : « Puis-je dire aux partisans du [mouvement] « Bernie ou rien » : vous êtes ridicules. »

REUTERS

Michelle Obama 

Scandale des courriels 

Pendant ce temps, Donald Trump s'amusait du désordre provoqué par les supporters de «Bernie», après que sa propre convention d'investiture à Cleveland la semaine dernière fut émaillée de polémiques.

«Bernie Sanders s'est vendu à Hillary-la-crapule. Tout ce travail, cette énergie et cet argent, pour rien du tout! Quelle perte de temps!», a-t-il réagi sur Twitter.

Les derniers préparatifs de la convention ont été secoués par la publication ce week-end par le site Wikileaks de près de 20 000 messages échangés par des responsables du parti démocrate, dérobés par des pirates informatiques soupçonnés d'être liés aux autorités russes.

Ces échanges révèlent des dirigeants très critiques de Bernie Sanders. Poussée à la porte, la présidente du parti, Debbie Wasserman Schultz, a annoncé dimanche sa démission à compter de la fin de la convention. Et le parti, désireux d'éteindre l'incendie, a présenté ses excuses à Bernie Sanders.

Dans les rues de Philadelphie, des partisans de Bernie Sanders opposés à l'intronisation de Clinton ont une nouvelle fois battu le pavé. 54 personnes ont été interpelées puis relâchées après avoir reçu une amende, selon la police.

Mardi, ce sera au tour de Bill Clinton de s'exprimer à la convention. Puis ce sera Barack Obama mercredi, avant le grand discours d'Hillary Clinton, jeudi soir. - Agence France-Presse

AP

Debbie Wasserman Schultz