Il faut désormais ajouter le Brexit aux raisons qui pourraient pousser Hillary Clinton à sortir de sa prudence habituelle et à choisir une femme comme candidate à la vice-présidence, en l'occurrence Elizabeth Warren, sénatrice du Massachusetts et bête noire de Wall Street.

Dans un commentaire publié au lendemain du référendum britannique, l'économiste américain Jeffrey Sachs dressait un constat partagé par plusieurs analystes politiques: «Les Américains dédaignent Wall Street et son comportement avide et souvent criminel au moins autant que la classe ouvrière britannique dédaigne la City de Londres. Cela, aussi, laisse supposer un avantage électoral pour [Donald] Trump face à son adversaire de novembre, Hillary Clinton, dont la candidature est largement financée par Wall Street. Clinton devrait en tenir compte et se distancier de Wall Street.»

Le hasard fait parfois drôlement les choses. Ce matin, à Cincinnati, Hillary Clinton participera à un premier rassemblement électoral en compagnie d'Elizabeth Warren depuis que celle-ci lui a donné son appui. La réunion interviendra une semaine après que l'équipe de Clinton a confirmé la présence de la sénatrice parmi au moins trois colistiers potentiels dont le passé fait l'objet d'un examen rigoureux.

Les médias américains ne manqueront pas de voir dans le rassemblement d'aujourd'hui une sorte d'audition pour le rôle de numéro deux de Clinton.

«Il sera intéressant de voir la dynamique entre les deux femmes», dit Maurice Cunningham, politologue à l'Université du Massachusetts à Boston. «Il doit y avoir une bonne entente entre les membres d'un ticket présidentiel.»

Rompre avec l'establishment

Mais Hillary Clinton osera-t-elle ajouter à la nature historique de sa campagne présidentielle en choisissant en plus une femme comme colistière? Jennifer Lawless, directrice de l'Institut des femmes en politique à l'American University, n'écarte pas cette possibilité.

«Étant donné que la liste des colistiers potentiels qui circule est très courte et qu'Elizabeth Warren s'y trouve, cela laisse supposer que l'équipe de Clinton songe sérieusement à un ticket tout féminin, dit la politologue. Et le fait que Warren ait une feuille de route qui tranche avec celle de Clinton indique que l'équipe de Clinton répond aux appels lancés par différentes ailes du parti en faveur d'une certaine rupture avec l'establishment traditionnel.»

Ex-professeure de l'Université Harvard, spécialisée dans le droit des faillites, Elizabeth Warren mène depuis des années un combat énergique contre les banquiers de Wall Street et leurs alliés de Washington qui, selon elle, pipent les dés et flouent les familles de la classe moyenne. Avant l'avènement du phénomène Bernie Sanders, elle était la candidate présidentielle dont rêvait la gauche démocrate.

«Si Clinton veut s'assurer que les supporteurs de Bernie Sanders embarquent dans sa campagne de façon enthousiaste, Elizabeth Warren est le meilleur moyen d'y parvenir», affirme Mme Lawless. 

Selon Maurice Cunningham, la sénatrice Warren a aussi démontré une qualité recherchée chez tout candidat à la vice-présidence : un goût certain pour l'attaque. Au cours des dernières semaines, elle a épinglé Donald Trump sur Twitter et dans des discours, l'accusant notamment de «racisme, sexisme et xénophobie». Trump a pris l'habitude de lui répondre en la traitant de «gourde» et en l'appelant «Pocahontas», une allusion aux origines amérindiennes revendiquées par Warren, qui est née il y a 67 ans dans une famille très modeste de l'Oklahoma.

«Le franc-parler de Warren a vraiment le don d'irriter Trump, dit le politologue de l'Université du Massachusetts à Boston. Elle parle toujours de lui comme quelqu'un de susceptible. Je pense qu'il l'est, et elle le dérange vraiment.»

D'autres candidats potentiels

Outre Warren, Tim Kaine, sénateur de la Virginie, et Julian Castro, secrétaire au Logement et au Développement urbain, font partie de la courte liste des candidats potentiels du Parti démocrate à la vice-présidence. À ceux-là, il faut aussi ajouter le sénateur de l'Ohio Sherrod Brown, figure populaire auprès de la gauche démocrate.

Le sénateur Kaine est sans doute le colistier qui serait le plus susceptible de plaire aux électeurs indépendants, selon Jennifer Lawless. La politologue croit en outre que le sénateur Brown serait un choix moins risqué que Warren pour mobiliser les supporteurs de Sanders. Cela étant, elle doute que Clinton détourne du ticket démocrate beaucoup d'électeurs en choisissant une femme comme colistière.

Maurice Cunningham, son collègue du Massachusetts, est du même avis.

«Il y a certaines régions du pays qui ne sont pas prêtes à un ticket tout féminin, dit-il. Mais ce sont des régions qui ne votent pas pour les démocrates de toute façon. Je pense que les démocrates peuvent gagner la Maison-Blanche avec un ticket Clinton-Warren. Ce serait une décision audacieuse qui galvaniserait les progressistes et accentuerait l'avantage des démocrates auprès des femmes. Ce serait une décision fascinante.»

Après le Brexit, c'est peut-être aussi un choix plus probable.

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Tim Kaine