Le premier tour des élections égyptiennes marquant la rupture avec le régime de Hosni Moubarak s'achevait mardi soir sans accroc, au grand soulagement des généraux contestés au pouvoir qui craignaient une flambée de violence.

Les bureaux de vote dans les neuf gouvernorats concernés par le scrutin -soit un tiers du pays- ont commencé à fermer leur portes à 17h GMT (midi, heure de Montréal), mais la Haute commission électorale (HCE) a annoncé que les bureaux resteraient ouverts au-delà de cette heure pour permettre aux électeurs s'y trouvant encore de voter.

Les premiers résultats partiels doivent être annoncés à partir de mercredi, selon la HCE.

À une heure de la clôture, les derniers électeurs quittaient le bureau de vote installé à l'école primaire Fouad Galal dans le quartier du Vieux Caire.

Salwa Hussein, 53 ans, en sort en boitant, s'appuyant sur son fils Ahmad Nashaat. Le visage recouvert d'un niqab, elle dit avoir voté pour la liste «Liberté et Justice» (PLJ), parti issu des Frères musulmans.

«Ils sont les meilleurs dans le pays actuellement. En plus ils vont gouverner en respectant les préceptes de l'islam», explique-t-elle.

«C'est la deuxième fois de ma vie que je vote. J'avais participé une fois à un référendum lorsque j'étais jeune pour dire «oui» à Moubarak car à l'époque on ne le connaissait pas bien. Quand on finit par bien le connaître, je n'ai plus voté», confie-t-elle.

Un choix tout sauf fortuit, car son fils Ahmad est un membre de la confrérie et se présente comme l'un des fondateurs du PLJ.

Il s'attend à ce que le PLJ remporte «entre 30 à 40% des voix». «C'est l'objectif que nous nous sommes fixé et si on l'atteint nous serons satisfaits».

«Ces élections ont été un grand succès. L'affluence a été énorme, la sécurité bien assurée grâce à l'armée et la police et il n'y a pratiquement pas eu de fraude», se félicite-t-il.

À l'aide de la caméra d'un petit ordinateur portable se balançant sur la paume de sa main, Mohammad Abou Choucha filme sa femme Hanane, voilée et toute de noir vêtue, sortir du bureau en tenant une affichette du PLJ.

«Aujourd'hui, c'est un jour de fête. Je vais poster ces images sur Facebook, Twitter et YouTube pour immortaliser notre participation aux premières élections libres dans l'Histoire de l'Égypte», dit Abou Choucha, barbe bien taillée et moustache rasée à la manière des islamistes.

Mohammad Mahdi, commerçant de pièces détachées, a lui opté pour la liste «Égyptiens libres» du magnat Naguib Sawiris.

«Je n'ai rien contre les islamistes, mais je ne veux pas de problèmes avec nos voisins ou une guerre avec Israël», dit-il pour expliquer son choix.

À quelques kilomètres de là, sur la place Tahrir, épicentre de la contestation contre le pouvoir militaire, quelques centaines d'irréductibles y campent encore. Un militant crache dans un mégaphone des tirades contre le Conseil suprême des forces armées (CSFA) et son chef le maréchal Hussein Tantaoui.

Le calme qui a marqué le déroulement du vote et la grande affluence ont été unanimement salués dans le pays. «Le peuple réussit le test de la démocratie», a clamé le journal indépendant Al Masri al-Yom.

Conspué lors des récents rassemblements massifs à travers le pays pour réclamer un transfert rapide du pouvoir à une autorité civile, le maréchal Tantaoui a exprimé sa satisfaction quant au déroulement du vote.

Ces manifestations avaient été émaillées de violences faisant 42 morts et plus de 3000 blessés.

Le maréchal Tantaoui est «ravi de constater la participation massive de l'ensemble des citoyens, et notamment celle des femmes et des jeunes», a affirmé Ismaïl Etmane, membre CSFA. Il a estimé que le taux de participation pourrait atteindre 70%.

Cette première phase des législatives, qui s'est ouverte lundi, concerne le tiers des gouvernorats du pays le plus peuplé du monde arabe (80 millions d'habitants), dont la capitale Le Caire et la deuxième ville d'Égypte, Alexandrie.

Le scrutin s'étalera dans les autres régions jusqu'au 11 janvier pour l'Assemblée du peuple (députés) et jusqu'au 11 mars pour la Choura (chambre haute consultative).

D'après des chiffres de l'Agence centrale des statistiques (CAPMAS), 50 millions d'Égyptiens sont appelés à voter pour l'ensemble du scrutin. Quelque 17,5 millions d'électeurs potentiels étaient appelés à participer à la première phase pour élire 168 des 498 députés.

Les analystes estiment que les Frères musulmans et le PLJ devraient sortir de ce scrutin comme la principale force politique du pays, suivant l'exemple de la Tunisie et le Maroc où les islamistes viennent de remporter les élections.

Dopé par l'euphorie électorale, le principal indice de la Bourse du Caire (EGX) a clôturé sur une forte hausse de 5,48%, soit des gains de plus de deux milliards de dollars en une journée, selon les médias.

Face aux Frères musulmans se présentent des dizaines de partis salafistes (fondamentalistes musulmans), libéraux ou de gauche, le plus souvent récents et encore mal implantés. De nombreux élus de l'ancien parti de M. Moubarak, aujourd'hui interdit, tentent également leur chance comme indépendants ou sous de nouvelles bannières politiques.

Ces élections doivent être suivies avant la fin juin 2012 par une présidentielle, après laquelle le pouvoir militaire a promis de rendre le pouvoir aux civils.