Au lendemain de la mort de Mouammar Kadhafi, la Libye, en liesse jeudi, s'est réveillée avec un mal de bloc, hier, alors que des questions sur les circonstances de la mort de l'ancien dictateur fusent autant à l'intérieur du pays que dans la communauté internationale. Accident? Exécution arbitraire? Tirs croisés? Les versions continuent de différer. Du coup, l'inhumation de l'ancien homme fort est reportée.

La haute commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, Navi Pillay, a exigé hier la tenue d'une enquête approfondie sur les circonstances de la mort de Mouammar Kadhafi, qui continue d'alimenter la controverse.

Le porte-parole de Mme Pillay, Rupert Colville, a déclaré qu'il était nécessaire de déterminer si le dictateur libyen avait été victime de combats ou plutôt d'une «forme ou une autre d'exécution» après avoir été capturé, jeudi à Syrte.

M. Colville a précisé qu'il était «troublant» de constater que les images disponibles montrent le dictateur vivant ou mort sans qu'il soit possible de reconstituer clairement le fil des événements.

«Il y a quatre ou cinq versions de ce qui s'est passé entre ces deux moments, ce qui soulève évidemment de très importantes questions», a-t-il déclaré à la BBC en rappelant que les exécutions sommaires sont «totalement illégales».

L'une des vidéos circulant sur l'internet montre Mouammar Kadhafi ensanglanté, l'air paniqué, appuyé contre l'arrière d'une camionnette par des combattants armés. Une autre, plus confuse, montre l'ex-dirigeant libyen entouré d'hommes qui semblent lui tirer les cheveux et le frapper. Des coups de feu résonnent sans qu'il soit possible de savoir s'il s'agit de tirs festifs ou des échos d'un combat.

Une troisième vidéo, diffusée par Al-Jazeera hier, montre la dépouille du dictateur au sol. Le sang semble avoir été retiré de son visage.

Le chef du gouvernement intérimaire libyen, Mahmoud Jibril, maintient que le dictateur a été frappé d'une balle à la tête peu après sa capture lors de combats survenus avec des soldats kadhafistes.

Il a précisé qu'un examen pratiqué par un médecin légiste n'avait pas permis de déterminer de quel camp était venu le tir fatidique.

Un autre haut responsable du Conseil national de transition (CNT) a parallèlement déclaré, hier, à Reuters que les combattants avaient capturé Mouammar Kadhafi vivant et l'avaient passé à tabac et tué avant qu'il ne puisse être emporté.

Les nouveaux dirigeants du pays ont fait savoir que la dépouille du dictateur serait conservée encore quelques jours, contrairement à ce que prévoient les lois islamiques, de manière à permettre des examens additionnels. Il semble que des divisions existent au plus haut niveau sur le meilleur endroit où l'inhumer.

Fin des opérations militaires, début des tractations

L'OTAN, qui a joué un rôle-clé dans le conflit, a de son côté fait savoir que la mort de l'ex-dirigeant libyen allait précipiter la fin de ses opérations dans le pays. Le secrétaire général de l'organisation, Anders Fogh Rasmussen, a déclaré hier que l'échéance ultime «était beaucoup plus près» qu'avant sans préciser d'échéancier. Il a plus tard évoqué la date du 31 octobre.

La fin des opérations militaires devrait aussi se traduire par une intensification des tractations diplomatiques et économiques, plusieurs États espérant positionner leurs entreprises pour bénéficier des ressources du pays et de la phase de reconstruction à venir.

Le ministre de la Défense français, Gérard Longuet, a ouvertement abordé le sujet hier en relevant que «chacun cherchera à tirer son épingle du jeu».

«Nous ne serons ni les derniers ni les plus vulgaires. Nous n'avons pas eu d'engagement tardif, médiocre, incertain. Et nous n'avons rien à nous pardonner», a déclaré le politicien en relevant que les nouveaux dirigeants libyens savent qu'ils «doivent beaucoup» à la France.

Son intervention promet de relancer de plus belle les interrogations sur les motivations de Paris, qui avait dû se défendre de toute visée économique après la divulgation d'un document suggérant que le CNT a promis une certaine part des réserves pétrolières en contrepartie de sa reconnaissance officielle.

La France avait fait un rapprochement marqué avec le régime libyen au moment de l'arrivée au pouvoir du président Nicolas Sarkozy, allant jusqu'à recevoir Mouammar Kadhafi en grande pompe lors d'une visite officielle dans la capitale.

Entreprise sur la sellette

D'importantes ententes de collaboration stratégique avaient été conclues cette année-là avec le dictateur, prévoyant notamment la vente par une filiale du géant EADS d'un millier de missiles antichars. Des formateurs de l'entreprise travaillaient toujours en Libye auprès des troupes kadhafistes lorsque les soulèvements ont commencé.

Autre sujet d'embarras: la révélation du fait qu'Amesys, devenue depuis une filiale de Bull, a vendu il y a quelques années du matériel de surveillance électronique à Tripoli avec l'autorisation du gouvernement français.

Des organisations de défense des droits de l'homme viennent de porter plainte contre l'entreprise d'origine française pour «complicité d'actes de torture en Libye» en arguant que les technologies en question ont servi à surveiller et à faire arrêter des opposants de Mouammar Kadhafi.

Amesys a assuré récemment que ses activités respectaient «strictement les exigences légales et réglementaires des conventions internationales, européennes et françaises».