«Avec patience et joie», selon les responsables électoraux et comme l'a constaté La Presse, des millions de Tunisiens défilent depuis ce matin dans les bureaux de vote pour les premières élections libres de leur histoire.

Tout se déroule dans le calme, même si des observateurs ont constaté que certains bureaux ont pris l'initiative de séparer hommes et femmes en deux files distinctes. À d'autres endroits, c'est l'attente de plusieurs heures, sous un soleil déjà chaud en matinée, qui poussait les électeurs à bout.

La Presse a notamment été témoin d'une vive bousculade à un bureau près de la Casbah, quand on a tenté de séparer la foule compacte en deux files plus courtes. Le calme est revenu en quelques minutes.

«L'acte électoral demande un peu de temps», a tempéré le président de l'Instance supérieure indépendante des élections (ISIE), Kamel Jendoubi, en point de presse en fin de matinée.

Aucun incident grave n'a cependant encore été rapporté.

Ouverts à 7h (2h, heure de Montréal), les quelque 7000 bureaux à l'échelle du pays ont peiné à gérer le flot d'électeurs. «Je suis arrivé ici à 6h15, j'ai attendu deux heures pour arriver à mon bulletin de vote, c'est pas possible!», lance Monsouf, rencontré dans le bureau de vote, rue de l'Inde, au centre-ville de Tunis. L'ISIE ne disposait cependant pas de statistiques sur la participation, ni de résultats préliminaires. M. Jendoubi estime que la participation pourrait atteindre les 60%, «bien au-delà» des attentes des responsables électoraux.

Le «cinéma» des années Ben Ali

«C'est une journée exaltante, la naissance de notre démocratie», dit Alya, quelques minutes après avoir voté dans une petite école du centre-ville, dans le quartier Lafayette. Son index bleui par l'encre indélébile le prouvait. Elle et son mari Fadhel se sont levés à 6h30 pour voter. Seul hic, note-t-elle, le nombre de listes dont le nom s'entasse sur une feuille de 42 cm de large est «étourdissant». «Je savais pour qui j'allais voter, ça m'a pris deux minutes pour trouver son sigle. C'est la rançon du succès.»

Plusieurs électeurs âgés, qui ont vu le pays mené par Bourguiba puis Ben Ali, qui ont instauré deux régimes autoritaires, ont reconnu qu'ils votaient pour la première fois. «Avant, c'était du cinéma, personne n'y allait», dit Samir. Une étincelle rieuse dans l'oeil, Mohammed, un septuagénaire portant le traditionnel fès, annonce qu'il ne sait pas trop pour qui il a voté. «Par Dieu, je ne le sais pas, j'ai coché au hasard. De toute façon, tous ces gens travaillent pour le bien de la Tunisie.»

Sexes séparés

Dans au moins une demi-douzaine de bureaux, les internautes ont cependant noté, photos et vidéos à l'appui, qu'on avait séparé les hommes et les femmes en deux files. La discrimination a parfois suscité l'ire des électeurs. On a noté ces incidents entre autres à La Soukra, Hammam Chott, en banlieue de Tunis, et à Sfax, dans le sud du pays. Dans un bureau, Ben Arous, selon un témoin, l'opposition des citoyens a conduit les responsables du bureau à abandonner cette formule.

«Cette façon de faire n'a pas été demandée, a précisé en conférence de presse Monia El Abed, porte-parole de l'ISIE. Nous comprenons que ce sont certains citoyens qui l'ont demandée. Si c'est leur souhait, il n'y a pas de problème. L'important, c'est que le droit de vote soit accessible à tous les citoyens.»

Les élections historiques, auxquelles 4,5 des 7,5 millions de Tunisiens majeurs sont inscrits, se déroulent sous haute surveillance. Outre les 42 000 policiers et militaires chargés de la sécurité, plus de 5000 observateurs et 1600 journalistes étrangers en suivent le déroulement. Il ne s'agit que de ceux qui ont été accrédités, les demandes étant estimées au double de ce nombre.

Les électeurs doivent choisir entre 11 000 candidats, regroupés en 1517 listes, pour élire 217 représentants. Ceux-ci auront un an pour rédiger la nouvelle constitution du pays, qui a fait tomber le dictateur Ben Ali le 14 janvier dernier.