Partis pour l'Europe sans imaginer les épreuves qui les attendaient, les migrants doivent souvent alléger et recomposer leurs sacs au fil de leur périple, semant derrière eux les souvenirs de leur vie passée dans l'espoir d'en embrasser une meilleure.

Syriens, Irakiens, Afghans ou Soudanais, tous ont mis les mêmes indispensables dans leurs sacs: des vêtements, des médicaments, leurs papiers et de l'argent.

Certains ont essayé de prendre plus. «J'étais parti avec trois sacs, un grand et deux petits», raconte Ghaiath Khaddam.

Arrivé à la frontière entre la Croatie et la Slovénie, après treize jours de voyage, cet ancien employé des douanes maritimes syriennes qui voyage avec sa mère de 70 ans n'a plus qu'un sac à dos, réduit à l'essentiel.

«Surtout des vêtements. Ils sont pour ma mère. J'ai quelques sous-vêtements pour moi, mais sinon je n'ai que ce que je porte sur moi», un pantalon, un tee-shirt, un polo à manches longues et un coupe-vent, explique-t-il, en poursuivant l'inventaire: «une trousse de médicaments pour le diabète de ma mère, des semelles, des cigarettes...»

Aucun objet personnel. Il avait pris son ordinateur portable, «mais je l'ai laissé chez des amis en Turquie.» Les objets de valeur peuvent être source d'ennuis, et la traversée de la Méditerranée est périlleuse.

Mostafa, lui, a dû abandonner ses affaires sur les rives turques: «Les passeurs ne voulaient pas qu'on prenne nos sacs: trop lourds, trop encombrants».

«Dedans, j'avais mes Adidas, mes Lee (jeans Lee Cooper)», soupire l'ingénieur en bâtiment de 31 ans, au niveau de vie confortable en Irak. Arrivé en Europe, il a glané trois tee-shirts, un pantalon, des chaussettes, et même un parapluie quand la pluie s'est invitée.

Le téléphone, boîte à souvenirs

Mais il a toujours gardé précieusement son téléphone intelligent, «avec deux batteries».

Pour beaucoup de migrants, le téléphone est le seul lien avec leur vie passée. Il permet d'entretenir le contact avec la famille restée au pays, avec des amis qui ont pris un itinéraire différent. C'est aussi la plus compacte des boîtes à souvenirs.

Mostafa fait défiler des photos de Bagdad, de sa maison, de sa voiture... Son doigt s'arrête sur une image de sa femme, avec son fils Mohammed (6 ans) et sa fille Lila (2 ans). Il relève la tête, envoie son regard le plus loin possible et retient dans une respiration les larmes qui perlent aux coins de ses yeux.

Allongé à côté de lui, un de ses amis montre une photo d'un jeune homme en uniforme, yeux bleus et moustache fer à cheval soigneusement taillée. «C'est moi, j'étais policier», glisse-t-il, méconnaissable avec son visage creusé et son teint cireux.

Omar Khaldi, frais diplômé en architecture, n'a pas voulu se contenter de souvenirs virtuels. Il a laissé quelques vêtements en route, mais s'accroche aux photos d'une amie d'enfance morte il y a quelques années, aux cadeaux de ses parents et à un journal intime qu'il a emportés. «Mais je ne les regarde pas. C'est pour plus tard, pour me souvenir», explique le jeune homme de 23 ans.

Dans ce dernier espace d'intimité, les femmes gardent précieusement un peu de maquillage, les enfants s'accrochent à un tube de bulles de savon ou à une poupée offerts en chemin.

Sirine, sexagénaire irakienne au visage cerclé d'un voile vert, y cache son petit secret.

Alors que l'attente s'éternise au poste-frontière de Bregana, elle s'isole derrière une tente. Du fond de son sac à main en cuir usé, elle extrait un paquet de cigarettes défoncé et demande du feu à un homme à proximité. Elle montre un groupe installé quelques mètres plus loin: sa famille. Index sur les lèvres, elle implore du regard la plus grande discrétion.